Souvenirs de médaillé : Michaël Jérémiasz

G.B.

11 juillet 2024

Cette rubrique nous plonge dans les souvenirs de médaillés français de tennis-fauteuil lors des différentes paralympiades avant les Jeux de Paris 2024. Michaël Jérémiasz, quadruple médaillé dans trois éditions différentes, porte-drapeau de l’équipe de France pour sa quatrième participation, a une histoire particulièrement riche avec ces Jeux.

Athènes 2004 : un nouveau monde

Mes premiers Jeux, ce sont la découverte d’un nouveau monde. Je découvre quelque chose d’assez puissant sur place. On s’intéresse à nous ! Le public est là pour nous, athlètes "paras". C’est une reconnaissance, un pas important pour nous. Je faisais déjà partie des meilleurs mondiaux à l’époque, mais je n’avais jamais ressenti une telle fierté, de constater que le public est là pour nous.

La grandeur de l’événement m’a soufflé. Quatre mille athlètes au même endroit… Je garde le souvenir de Jeux assez extraordinaires en termes d’ambiance, même si ce n’était pas les Jeux les plus "pros" côté organisation. C’était extrêmement festif, entre athlètes, avec mes proches.

Et puis bien sûr ces premiers Jeux, c’est aussi le souvenir de mes premières médailles : le bronze en simple et l’argent en double (avec Lahcen Majdi). Je n’étais pas encore au sommet de ma carrière et j’étais donc extrêmement fier de ce double résultat. Sur le papier, je ne peux pas faire mieux ! Je perds contre le n°1 mondial en demi-finales du simple (le Néerlandais Robin Ammerlaan) que je n’avais jamais battu avant. Je ne le battrai que l’année d’après. En double, on perd en finale contre les n°1 mondiaux (les Japonais Shingo Kunieda et Satoshi Saida). On a fait le job !

Ces premiers podiums, c’est beaucoup d’émotions, beaucoup d’excitation. Ma première médaille, c’est celle du simple. Je ne suis pas favori contre l’Américain Stephen Welch qui a fait argent à Atlanta et à Sydney. Je suis allé chercher ce match à l’envie, à l’audace, au culot (6/2, 6/4). Je suis conquérant dans ce match. C’est l’époque où je jouais encore agressif (sourire).

© France olympique - La médaille en double aux côtés de Lahcen Majdi.

Pékin 2008 : l'El Dorado

L’ambiance à Pékin était très différente de celle d’Athènes : beaucoup, beaucoup de monde dans les tribunes mais une certaine retenue des spectateurs. Les usines fermaient pendant les Jeux et on demandait aux ouvriers de remplir les tribunes. Mais lors de la finale du double, avec Stéphane (Houdet), on a joué dans une ambiance de dingue !

Nous sommes partis là-bas avec l’ambition de décrocher l’or. Nous étions les favoris, la meilleure équipe, avec notamment notre première victoire à Roland-Garros obtenue l’année d’avant. Mais en simple, nous avions lui et moi aussi une chance de médaille. Et ça n’a pas fonctionné. Ma préparation avait été perturbée pendant plusieurs mois, j’avais une plaie à la cuisse près du fessier qui se ré-ouvrait dès que je remontais sur le fauteuil. J’ai même eu peur de ne pas passer la visite médicale. Les problèmes de peau sont vérifiés de près pour les paraplégiques. J’ai passé des mois avant le départ pour Pékin à somatiser sur cette blessure.

En simple, on perd donc tous les deux en quarts de finale contre deux Néerlandais qu’on avait l’habitude de battre… Dans le vestiaire, on s’est dit qu’après s’est troués "comme des merdes", (sic) on ne pouvait pas repartir sans l’or en double (sourire).

En finale, contre les Suédois (Stefan Olsson et Peter Wikström), on fait un premier set à notre niveau, on déroule (6/1). Et puis la météo se complique, il tombe quelques gouttes, le vent se lève. On est menés 2-1, balle de 3-1 au 2e quand le match est interrompu et reporté au lendemain.

Je ne dors pas de la nuit : je pense à un truc très con, la double-faute que je vais faire sur la balle de 3-1 à la reprise. Je m’entraîne bien, je me dit que je vais assurer une première-deuxième, mais ça ne loupe pas, double-faute. Mais finalement je regarde mes proches, je me marre et ça me libère.

Dans le tie-break, on a trois balles de match. Stéphane fait une double-faute et une erreur inhabituelle pour lui. Sur la troisième, sur le service d’Olsson, je frappe un retour de toutes mes forces, en hurlant. Il ne sort pas du carré de service mais ça perturbe le Suédois qui la boise. Et là, on se prend dans les bras, on est comme des fous, c’est l’explosion de joie !

Immédiatement, on sait qu’on a marqué l’histoire. Nous obtenons la première médaille d’or paralympique du tennis-fauteuil français. Tout tennis confondus même. On jette nos tee-shirts dans le public, on va voir nos familles. Je me souviens que ma chanson préférée avait retenti dans le stade presque juste après. On avait rempli une petite fiche signalétique avant la compétition… Je crois que Stéphane, c’était une chanson de Piaf, alors ils ont choisi plutôt la mienne dans la sono, The Way I Are de Timbaland, du rap américain.

On ne voulait pas quitter le court… Ensuite on a joué à cache-cache avec nos familles, on faisait les cons au contrôle antidopage. Puis on est partis faire la fête au Village. Là, quand tu la partages avec les autres athlètes, tu te rends compte que ça pèse, une médaille d’or. Et après un restau on a fini en boîte de nuit. C’était la folie totale. Pendant tout le vol du retour, on se regardait avec Stéphane, on savait ce qu’on avait accompli. C’était assez magique. J’ai fait la fête pendant 32 jours ! C’était dingue. Je suis revenu de Pékin changé.

© France olympique - Un duo à la conquête de l'or !

La fin de la finale du double en vidéo

Londres 2012 : une autre dimension

Dès l’arrivée à la gare St Pancras, on découvre que ces Jeux sont d’une autre dimension. On voit des affiches partout, les bobbies qui nous accueillent, avec des campagnes d’affichage partout… Des messages "Thanks for the warm-up" (NDLR : "merci pour l’échauffement", allusion aux Jeux olympiques qui ont précédé). Il y avait des stades remplis, un dispositif médias qu’on n’avait jamais connu auparavant. Et surtout, des milliers de personnes qui vous arrêtent dans la rue pour des demandes d’autographes. On bascule dans un autre monde.

Sportivement, le bronze en double est une grosse frustration. À ce moment-là, on est la meilleure équipe du monde avec Stéphane (Houdet). En simple, je sais que je suis un peu en-dessous, mais en double…Pendant tout l’été 2012, on écrase la concurrence. En finale de l’Open de France, on bat les Suédois (Stefan Olsson et Peter Wikström) 6/0, 6/1. Malheureusement nous avons eu des divergences avec Stéphane pendant la préparation. On s’est un peu éloignés… Il n’y a plus la même complicité. En demi-finale, on passe complètement à côté du match contre ces Suédois.

Comme les autres Français, dans l’autre demie (Frédéric Cattanéo et Nicolas Peifer), on créé la surprise en battant les Néerlandais, et Stéphane est en finale du simple, alors je me dis que je vais être le seul "con" à rentrer sans médaille ! Mais le lendemain, on se remobilise et on gagne 6/0, 6/0. En faisant le match qu’on aurait dû faire la veille. Donc d’un point de vue sportif, c’est pas top, même s’il y a cette médaille.

Mais à Londres, il y a eu aussi cette cérémonie de clôture complètement dingue avec un concert privé pour les athlètes de Coldplay, Rihanna et Jay-Z ! C’était extraordinaire…

© France olympique - Quatre Français sur le podium à Londres !

Rio 2016 : la fierté du porte-drapeau

Sportivement, je n’ai pas d’ambition particulière. En simple je n’ai plus le niveau, et en double, je sais que notre première association avec Frédéric Cattanéo n’est pas forcément garante d’une médaille. On perd en quarts de finale 7/6 au 3e set contre les Japonais qui nous avaient battu en finale à Athènes. La boucle est bouclée.

Ce que je garde en tête de Rio, c’est l’explosion médiatique des Jeux paralympiques en France. C’est l’année où je deviens porte-drapeau, c’est l’année où je me sers de cette visibilité pour porter mon combat pour une société moins discriminante pour les personnes handicapées.

Et puis la cérémonie d’ouverture, c’est le moment le plus magique de ma carrière. Ce sont des heures d’attente avant de rentrer dans le stade où je transcende mes coéquipiers de l’équipe de France. Et là, quand tu rentres, "Ladies and Gentlemen, la France !" avec 80 000 personnes dans le stade Maracana. Je vis un truc inoubliable.

Ce rôle de porte-parole, de grand frère pour mes partenaires d’équipe de France me convenait. Je suis un rassembleur, un mec engagé. J’ai adoré.

© France olympique - L'honneur d'être porte-drapeau pour sa quatrième et dernière paralympiade.