Les souvenirs de Paul Quétin, préparateur physique des équipes de France depuis plus de 20 ans
E.B.
14 novembre 2024
Témoin privilégié du tennis tricolore ces deux dernières décennies, Paul Quétin a encadré les meilleurs joueurs français sur le plan physique. Alors qu'il vit sa dernière rencontre en équipe de France à l'occasion de Colombie-France, il revient sur ses plus grands souvenirs de campagne bleues et sur les athlètes qui l'ont marqués.
Vos débuts en équipe de France ?
2002. À ce moment, je reviens de Strasbourg où je travaillais dans le football. En octobre 2001, la France gagne la Coupe Davis et en janvier, Guy Forget m'appelle pour prendre en charge l'équipe de France. Je fais ma première rencontre à Metz, contre les Pays-Bas. L'année est incroyable car on se retrouve encore en finale.
Vos plus grands souvenirs d'une rencontre disputée en France ?
Eh bien, dès cette année 2002, on joue les demi-finales au stade Roland-Garros contre les États-Unis. C'est quelque chose d'exceptionnel, qui ne s'est reproduit qu'une fois, en 2014. Il y avait une prise de risque car la rencontre se jouait la troisième semaine de septembre. Jouer la Coupe Davis à "Roland" est quelque chose d'extraordinaire, et là, il y avait en plus le bonheur de gagner. D'autant que les États-Unis avaient une grosse équipe : Andy Roddick, James Blake et Todd Martin.
La finale cette année reste aussi pour moi un très grand moment, même si elle est perdue au dernier set du dernier simple. Mais voir Bercy plein à craquer, lors de la grande époque de la Coupe Davis avec les formats en cinq sets, un engouement de folie... Fabuleux !
Il y a aussi la demi-finale contre les Tchèques en 2014 à "Roland" et la finale contre les Suisses. Oui, il y a la défaite au bout mais l'ambiance était magique. À l'époque, on bat le record de spectateurs pour une rencontre. En face, il y avait quand même Federer et Wawrinka qui étaient au Masters la semaine d'avant, c'est dire le niveau.
© Christophe Saidi / FFT
Il y a 10 ans, la victoire contre les Tchèques à Roland-Garros avait marqué les esprits.
Votre meilleur souvenir à l'étranger ?
En 2004, on dispute une demi-finale dans les arènes d'Alicante. C'était le premier match de Coupe Davis de... Rafael Nadal. Côté espagnol, il y a Carlos Moya, n°1 mondial, Juan Carlos Ferrero, Tommy Robredo et Nadal. C'était une rencontre dingue avec notamment "Paulo" Mathieu qui bat Moya en cinq manches. Après, on va trottiner dans les rues d'Alicante et il se met à pleurer. Il est submergé par l'émotion et moi aussi.
Dans les arènes, il faut passer dans le couloir où les animaux attendent, c'est sombre, il y a des traces de cornes sur le côté.... Puis tu rentres, tu vois le soleil, la foule, tu as l'impression d'être un gladiateur. C'est un grand souvenir avec un dîner officiel sur le rocher. Plein d'images me reviennent.
Il y a aussi un grand match en Argentine en 2013 à Buenos Aires. Jouer là-bas, c'est ressentir comme jamais la Coupe Davis. Les gens vibrent pour la Coupe avec une intensité incroyable. Quand on rentre dans le stade avec la foule qui hurle.... On ressent l'émotion des grands matchs. Cette année-là, j'accompagnais beaucoup Richard qui fait quart à Indian Wells, demies à Miami. Ce sont des moments forts passés avec les joueurs.
© FFT / Philippe Montigny
Une vraie complicité s'est nouée entre Richard Gasquet et Paul Quétin.
Le joueur français qui vous a le plus impressionné physiquement ?
Chez les garçons, c'est impossible de ne pas penser à Gaël (Monfils). Il a une vraie polyvalence physique. C'est un athlète complet, à la fois agile, souple et coordonné. Il peut jouer à n'importe quoi, il est toujours adroit. Mais en plus, il a une capacité musculaire hors du commun dans la détente et l'explosivité.
Durant ma carrière, j'ai eu la chance de côtoyer beaucoup de très bons joueurs. "Jo" Tsonga était d'une puissance extraordinaire, Gilles (Simon) d'une endurance incroyable... Ils ont tous leurs qualités.
Sur les dernières rencontres, j'ai eu l'occasion de voir Arthur Fils et Arthur Cazaux, des jeunes joueurs qui ont des capacités athlétiques très intéressantes. Ils ont fait un gros travail physique au CNE avec Pierre Mazenq, dans leurs jeunes années. Il y a aussi Giovanni (Mpetshi Perricard). Je l'ai vu arriver à Poitiers, tout jeune. Un jour, il est venu faire le sparring pour Richard qui me dit "mais c'est quoi ce gars, il est monstrueux".
Un joueur qui vous a surpris ?
Il y a des garçons qui ont traversé les années, comme Adrian Mannarino. Je l'ai connu à 20 ans avant de le voir en Coupe Davis à 36. Ce garçon fait une carrière folle. "Manna", au départ, c'est un bon joueur qui gagne un Future à 18 ans, mais on ne pensait pas qu'il réussirait une telle carrière. J'ai beaucoup de respect pour lui car il travaille avec énormément de sérieux.
© FFT / Philippe Montigny
Adrian Mannarino, un grand travailleur sur le plan physique.
Il y a aussi Ugo Humbert, un garçon super attachant que j'ai connu au pôle de Poitiers. De voir ce gars si gentil faire finale au Rolex Paris Masters, c'est magnifique. Pourtant, au départ, on pouvait avoir des doutes sur la suite avec son physique extrêmement fin. Tout le monde n'aurait pas parié sur lui mais c'est un garçon travailleur qui a un super état d'esprit. Ce sont de belles histoires qui montrent qu'on peut y arriver quand on travaille.
Une joueuse française qui vous a marquée ?
Elle est forcément décalée dans le temps, mais Amélie Mauresmo. Amélie était hors normes. Même jeune à l'INSEP, elle sortait du lot avec ses qualités athlétiques. Dans l'investissement, je fais ressortir Alizé Cornet. Ce n'est pas une athlète exceptionnelle, elle n'était pas spécialement forte ou grande, ce n'est pas Sabalenka. Mais j'ai eu la chance de la connaître jeune, j'étais avec elle au Jeux olympiques de Pékin en 2008, et c'est une fille tellement sérieuse et impliquée, tellement exemplaire dans sa manière de se préparer.
Je pense aussi à Caroline (Garcia) qui est une superbe athlète et sa carrière est remarquable. Chez Kristina (Mladenovic), on sent la culture sportive de ses parents. Elle a la coordination qu'on retrouve dans son palmarès en double, même s'il ne faut pas oublier sa carrière en simple. Elle est très polyvalente.
© FFT / Corinne Dubreuil
La victoire à Perth, une consécration pour le tennis français.
Le joueur étranger le plus fort physiquement ?
Andy Murray m'a beaucoup impressionné. Je connaissais assez bien son prépa physique et je sais ce qu'ils ont dû faire pour atteindre ce qu'il a atteint. Murray est un joueur à l'état d'esprit fabuleux. Il a bossé comme jamais pour amener son physique à un niveau exceptionnel. Rafael Nadal, dès le départ, avait des qualités physiques et de combativité complètement hors normes. Mais le top, c'est sans doute Novak Djokovic. Il est plus léger qu'un Rafa, plus agile qu'un Murray, il a géré son corps avec beaucoup de sérieux. Il a le physique proche de la perfection pour le tennis : il est léger, il va vite, il est élastique, endurant.
Quant à Federer, il avait un profil plus musculeux au niveau des jambes. Roger, on a oublié ses qualités physiques. Pourtant, il bossait très dur mais sur des périodes hors tournois. En tournois, il faisait plus des réglages au niveau du jeu, donc les gens pensent à tort que ce n'était pas un gros travailleur.
Chez les filles, je dirais forcément Iga Swiatek et Aryna Sabalenka, qui est grande mais avec un équilibre musculaire quasi parfait et des qualités de déplacements fantastiques. On ne peut pas oublier Serena (Williams) mais son profil et sa puissance étaient tellement uniques qu'il est difficile de la prendre comme exemple.
Une évolution dans le physique des athlètes ?
Chez les hommes, on voit des (Alexander) Zverev, (Daniil) Medvedev, (Jannik) Sinner.... Des joueurs plus grands que cette génération du Big Four, mais avec une couverture de terrain exceptionnelle et une grande agilité. Ils sont très longilignes ce qui les protège par rapport à des joueurs plus lourds.
Côté féminin, il y a une progression physique chez toutes les joueuses. Il y a eu des athlètes exceptionnels par le passé comme Martina Navratilova ou Steffi Graf, mais maintenant, ce sont toutes de grandes athlètes. Chez les filles, on peut réussir avec des profils différents comme Jasmine Paolini, petite mais hyper explosive. C'est nettement moins vrai chez les hommes, même si quelques contre-exemples existent.
Une anecdote peu ou pas connue ?
Après la demie de Coupe Davis à Roland-Garros en 2002, j'avais demandé l'autorisation exceptionnelle à la FFT de pouvoir utiliser le Central. À la fin de la rencontre, les gars de l'entretien ont enlevé les poteaux et le filet. J'ai sorti deux cages et on a fait un foot sur le court Philippe-Chatrier ! Avec Mauresmo, Escudé, les joueurs... Il restait quelques spectateurs et on a fait un 5 contre 5 sur le Central ! Le respect pour les courts est immense à la Fédération, mais on était en septembre, donc la saison de terre battue était terminée. Ce ne serait plus possible aujourd'hui.
Le moment qui restera gravé à jamais ?
J'allais dire la victoire Perth mais en fait je retiens toute l'année 2019. Les filles gagnent à chaque fois au double décisif dans des matchs au couteau. C'était la dernière année où la Fed Cup se jouait avec cette formule-là et aller en Australie pour jouer Ashleigh Barty, n°1 mondiale... C'était un défi gigantesque. Toutes les conditions étaient réunies pour un moment exceptionnel. Cette victoire est un espèce de Graal.
En tant que prépa physique, j'ai la chance de voir les athlètes jusqu'au dernier moment. Parfois, je suis seul avec lui ou elle pour les dernières secondes avant le match. À Perth, on fait l'échauffement du double, et à côté, il y a Ashleigh Barty et Samantha Stosur en train de s'entraîner. L'atmosphère est électrique, on va jouer le dernier match pour gagner la coupe du monde. C'était une ambiance indéfinissable mais ça m'a beaucoup marqué.
Quand on est dans un staff sportif, on est dépendant des joueurs et joueuses avec lesquels on travaille. Je vis les résultats par procurations. Mais grâce à ces joueurs et ces joueuses, j'ai vécu des moments humains incroyables. Des tous petits moments, parfois, qui peuvent sembler sans importance. Mais c'est ça qui va me rester. Avant la finale de 2002, j'emmène "Scud" (Escudé) et Santoro sur le court 2 à Bercy. On sait qu'on va jouer un double décisif. Il y a un moment d'intimité d'une intensité étonnante. Ils gagnent en 5 sets, Je me rappelle de tout.
J'ai vécu tous ces moments tellement intensément. Maintenant les formules sont plus courtes, mais quand vous aviez deux fois cinq sets dans la journée, le soir, tout le staff était cuit. Et ce qui est terrible, c'est qu'on ne contrôle pas. On encourage à fond mais on ne contrôle pas.
J'ai envie de remercier tout le monde. Les joueurs et les joueuses car c'est grâce à eux que j'ai vécu tout ça. Ils m'ont donné l'opportunité de vivre tout ça. Le tennis est un prétexte pour vivre ces émotions. Au fil de toutes ces rencontres, j'ai été payé au centuple car ils m'ont fait vivre des choses incroyables. Ce sont des moments de partage qui sont gravés à jamais.