Qu’on l’aime ou pas, c’est un fait : s’il demeure proscrit de toutes compétitions individuelles amateurs labellisées FFT (sauf autorisation spécifique sur certaines épreuves nationales), le coaching en match existe bel et bien désormais sur le circuit professionnel.C’est la WTA qui avait lancé le mouvement en implémentant en 2009 le « on court-coaching », donnant la possibilité aux coachs de venir aux côtés de leur joueuse une fois par set durant un changement de côté. Et ainsi de pouvoir engager avec elle un vrai échange, comme cela se fait lors des compétitions par équipes où le capitaine est autorisé à rester assis sur la chaise.En 2020, la WTA, suivie deux ans plus tard par l’ATP, a fait un nouveau pas en autorisant le coaching depuis les tribunes. Celui-ci demeure régulé : la communication doit se faire uniquement quand le joueur (ou la joueuse) se trouve du même côté du terrain que le coach, et uniquement par des mots brefs, sans tenir un vrai dialogue ni perturber la continuité du jeu. Subtil.Subtil, mais utile. "Pour le joueur, c’est une ressource : s’il a besoin d’une information à un moment, il sait qu’il a la possibilité de la demander sans être pénalisé. Et si, à l’inverse, en tant que coach, il vous apparaît quelque chose d’évident, vous n’avez plus besoin de vous retenir pour le lui dire", comme le souligne Yannick Quéré.L'entraîneur de Luca Van Assche a une immense expérience du coaching en match, de par sa fonction actuelle mais aussi de par les nombreux capitanats qu’il a pu exercer dans le passé auprès de différentes équipes de France jeunes. Il nous parle ici de cet art qui demeure aussi clivant que délicat à manier.
© Yannick Quéré ici au chevet de Giovanni Mpetshi Perricard et Luca Van Assche lors de la Coupe Galéa 2021.
1/ Trouver le bon conseil au bon moment
Même lors des matchs par équipes où l’interaction est la plus importante, le coach n’a jamais une fenêtre de dialogue très importante avec son joueur. Il doit donc viser juste à chaque intervention."Là où c’est subtil, c’est qu’il ne faut pas perturber la concentration du joueur donc il faut vraiment trouver le bon moment pour lui parler, explique Yannick Quéré. En général, quand on se permet d’intervenir, c’est au moment où l’on sent que l’on peut faire une petite différence à un moment crucial du match. Ou alors, lorsque le joueur est en difficulté et que, finalement, ça ne peut pas être pire. Mais si tout roule ou que l’on n’a pas spécialement quelque chose d’utile à dire, ce n’est pas nécessaire. Il ne faut pas constamment abreuver d’informations, pour ne pas la noyer."Après, cela dépend aussi de la personnalité du joueur ou de sa relation avec son entourage. Au plus haut niveau, on en voit certains, comme Carlos Alcaraz avec Juan Carlos Ferrero ou plus encore Stefanos Tsitsipas avec son père, être dans un échange beaucoup plus systématique que ne l’est Yannick Quéré avec Luca Van Assche.Quant à l’information proprement dite, elle peut être de trois ordres : "D’ordre tactique, parce que l’on voit souvent de l’extérieur des choses plus évidentes que quand on est dedans ; technique, parce qu’avec la tension, il arrive de commettre des erreurs ; ou alors simplement un message d'encouragement, dans des moments où le joueur a juste besoin d’être boosté ou rassuré."
© Sébastien Niculescu, capitaine du TCBB récemment sacré champion de France Pro A, conseille ici Jonathan Eysseric.
2/ Connaître parfaitement son joueur
Pour abattre la bonne carte au bon moment, il faut soit être un génie, soit – pas de mystère – connaître parfaitement son joueur. Le coaching pendant le match, lui, n’est finalement que la conséquence d’un travail effectué avant entre le joueur et son entraîneur."Le coaching donne la possibilité à un joueur, ou à un coach, de solliciter ou de conseiller une petite chose à faire. Mais cette petite chose, souvent, elle est prévue avant, c’est rare de l’improviser pendant le match", relate celui qui est aussi Conseiller technique régional du Comité de Paris. C’est pour cela que c’est très important - surtout pour un joueur encore en formation – de mettre des codes bien établis en amont, pour lui permettre d’atteindre un fonctionnement optimal. Après, on n’a pas d’un côté un entraîneur qui sait et un joueur qui joue. Le coaching, c’est surtout une osmose et une complémentarité qui amènent à la performance."Et cette symbiose est d’autant plus atteignable si le joueur et le coach se connaissent parfaitement. C’est le cas de Yannick Quéré et Luca Van Assche, qui travaillent ensemble depuis que ce dernier a 10 ans. Entre eux, pas de secret. Mais toujours autant d’exigence dans la communication avant et pendant le match.
© Julien Benneteau, le capitaine de l'équipe de France de Billie Jean King Cup, connaît bien ses joueuses et peut parfois choisir de les détendre comme il le fait ici avec Caroline Garcia.
3/ Se mettre dans la peau du joueur
C’est une erreur qui a parfois, par le passé, été confessée par des anciens capitaines de Coupe Davis : l’impression, a posteriori, d’avoir conseillé son joueur, notamment sur le plan tactique, à travers son propre prisme d’ancien joueur.Or, sur le terrain, chacun a son propre style, sa propre manière de penser, et des attentes de messages ou de conseils souvent très différentes. C’est un écueil dans lequel le coach (ou le capitaine) doit éviter de tomber, particulièrement bien sûr s’il a lui-même un passé de joueur, ce qui est souvent le cas.Yannick Quéré, lui, a affaire à un joueur qui a une double spécificité : il est très jeune et a un tennis très porté sur la stratégie."Il est évident qu’il faut donner à « manger » à Luca de ce côté-là donc oui, on est beaucoup en alerte au niveau tactique, encore une fois dans des choses qui sont souvent prévues à l’avance, témoigne celui qui a pour sa part été classé -15. Luca est quelqu’un de brillant, il fait des études mais il ne faut pas oublier qu’il n’a que 19 ans : tous les jours, il découvre quelque chose donc il a besoin de construire sa confiance et d’être rassuré."
© Sébastien Grosjean a été un grand joueur avant d'être le capitaine de Coupe Davis puis le coach personnel d'Arthur Fils. Son discours est évidemment adapté au profil de son joueur, pas à son vécu de joueur.
4/ Soigner la forme autant (sinon plus) que le fond
Observez les échanges en plein match entre Luca Van Assche et Yannick Quéré : ils sont toujours très calmes, pondérés, sans excès. Pour ce dernier, cela correspond à la personnalité de son élève et aussi à son besoin, à ce stade de sa carrière, d’être rassuré."La nature de nos échanges correspond davantage à ses besoins qu’aux miens. Si j’étais avec un joueur qui aime qu’on lui rentre davantage dedans, je le ferais, souligne l’entraîneur fédéral. Parfois, peut-être même tout le temps, l’intonation et la manière de dire les mots ont plus d’importance que les mots en eux-mêmes. En tout cas, le contenu et le ton doivent toujours être associés. C’est primordial."C’est aussi pour cela qu’il est si difficile de définir un bon entraîneur, quel que soit le sport. Parfois, la personnalité du coach « matche » naturellement avec les besoins du joueur, ou parfois parvient-il parfaitement à s’adapter. Et parfois non, ou moins facilement, ce qui n’enlève rien à ses qualités intrinsèques.
© Le coaching de Yannick Quéré auprès de Luca Van Assche est pondéré, sans excès.
5/ Prioriser les informations
Lorsqu’on lui demande quel(s) conseil(s) il donnerait aux coachs, surtout de jeunes joueurs, Yannick Quéré n’hésite pas longtemps : "Ce serait de prioriser l’information. Il est intéressant de fixer un objectif ou deux au maximum par match, lié au jeu ou à l’attitude. Et de débriefer uniquement là-dessus, après le match. Pendant, mieux vaut laisser le joueur s’exprimer et faire les choses par lui-même. On voit beaucoup d’entraîneurs qui, en voulant bien faire, parlent énormément. Mais un jeune joueur n’est pas capable de tout assimiler."Le but, pour le coach, est donc de détacher son joueur du résultat pour l’amener à se focaliser sur des éléments qu’il peut contrôler. Mais, surtout, but ultime, l’emmener progressivement vers une totale autonomie… jusqu’à (presque) pouvoir se passer d’un coach."Depuis que j’entraîne Luca, ma manière de lui parler a beaucoup évolué, conclut Yannick Quéré. En gros, plus ça va, moins je lui parle. L’objectif, c’est que, sur le court, il n’ait plus besoin de faire appel à moi, ou le moins possible. Ce jour-là, j’aurai le plus beau métier du monde ! Mais il faut qu’il y ait une évolution, sinon ce n’est pas efficient."Drôle de métier que celui de coach où on leur donne désormais sur le court un droit à la parole qu’ils n’ont qu’une hâte : solliciter le moins possible.(Rémi Bourrières)
© Parfois, quand tout va bien sur le court, le coach peut aussi se taire, comme ici le capitaine du TC Loon-Plage, Christophe Zoonekynd, avec Lucas Pouille.