Nouvel épisode de notre série sur la reconversion avec Cindy Chala. Après une série de blessures, la double championne de France (15/16 ans en 2006 et 17-18 ans en 2009) a brillamment changé de voie et exerce désormais dans un grand cabinet de recrutement.
Quels ont été vos débuts au tennis ?
Je viens d'une famille où tout le monde joue au tennis. Mon grand frère Eddy a été -30, mon petit frère a été -15. Ma petite sœur aimait moins ça, elle était 4/6. Bon ce qui reste pas mal, je suis un peu dure avec elle ! Quant à mes parents, ils étaient classés quelque chose comme 15/2 ou 15/1.
Donc l’envie de jouer au tennis est venue lors des après-midis et des week-ends en famille. J'ai assez peu joué en club, mais plutôt dans des petites académies, notamment celle d’Alain Faouzi. Assez rapidement, j’ai intégré la Fédé (FFT), quand j'avais 13 ans, puis le Team Lagardère et l'académie Mouratoglou.
Quel style de joueuse étiez-vous ?
Je suis très petite, 1m60, et gauchère. Je contrais en prenant la balle tôt et en variant beaucoup. J'étais très embêtante !
© FFT
Du fond de court, Cindy Chala déréglait des adversaires souvent bien plus grandes qu'elle grâce à ses qualités de contreuse.
Pourquoi avoir aussi souvent changé de structure ?
A la FFT j'ai eu un entraîneur, Laurent De Pasquale, qui m’a bien fait progresser, mais je voulais changer de modèle. Quand j’ai intégré la Team Lagardère, j'avais 15 ans, et cette structure "explosait" : il y avait Gasquet, Monfils, Paul-Henri Mathieu... Les meilleurs Français chez les hommes Avec Lagardère, j'ai pu beaucoup voyager pour jouer des ITF juniors. C'est à ce moment-là (en mars 2007) que j'ai gagné un Grade A, au Brésil, qui m'a fait connaître du milieu.
J’ai ensuite passé quelques années à l’académie Mouratoglou. À l’époque, ce n’était pas aussi énorme qu’aujourd’hui, mais l’académie avait déjà bonne réputation dans le monde du tennis, il y avait Marcos Baghdatis par exemple. Je tapais la balle avec de bons sparrings, la structure était très qualitative, il y avait un vrai accompagnement.
Qu’est-ce qui vous plaisait dans le tennis ?
J'aimais bien gagner, réussir à être la meilleure. Je crois aussi que le voyage a été une vraie source de motivation. Le tennis m'a permis de faire des trucs assez dingues. Donc la gagne, voyager... c'est ce qui m'intéressait.
Mon premier vrai voyage, c’était en Martinique à 10 ou 11 ans. J’ai ensuite voyagé à travers la France, dans toute l'Europe et en Amérique du Sud. Ça me faisait kiffer d'entendre de nouvelles langues, de découvrir de nouvelles cultures.
Quel est le voyage qui vous a le plus marqué ?
Tous ceux en Amérique du Sud : Brésil, Argentine, Uruguay. J'ai toujours été très à l'aise dans cet univers. D'ailleurs j'y retourne, je vais vivre au Chili pendant un an grâce à mon employeur qui a un bureau à Santiago. Cette attirance pour l’Amérique ne m’a pas quitté finalement.
Vous avez été double championne de France. Quels sont vos souvenirs de ces victoires ?
Je me souviens très bien du premier titre. C'est un des meilleurs souvenirs de toute ma carrière. En 15/16 ans, je bats Gracia Radovanovic en finale. Et pou moi qui suis de nature assez timide, c'était fou… À part ma famille, personne n'y croyait, pas même moi. Ça m'a ouvert plein de portes !
Le 2e titre, c'était une année particulière car j’enchaînais les blessures au dos. J'ai dû jouer trois ou quatre mois cette saison-là. Ce n'était pas une période très marrante, en plus Mouratoglou avait décidé d'arrêter notre collaboration. Mais j'avais réussi à confirmer et à battre Elixane Lechemia en finale. J’ai vu qu’Elixane fait maintenant une belle carrière de double (65e mondiale en 2022).
Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre un terme à votre carrière ?
J’ai de gros problèmes au dos depuis que j'ai 13 ans, à cause d’une maladie de croissance. J'ai beaucoup forcé et compensé. Depuis j'ai mal… Encore aujourd'hui, j'ai beaucoup de douleurs. Ce n'était pas plus mal car c'était le bon moment pour reprendre mes études. D'une certaine manière, je suis contente de m'être blessée vers 18 ans et non pas à 25, la reconversion aurait été bien plus difficile.
Vous vous souvenez du moment où vous avez décidé de jeter l’éponge ?
Oui, c’était en Tunisie. J’avais tellement mal au dos que j'ai dû ramper dans un hôtel pour rentrer dans ma chambre. C’était horrible, cela n'avait plus aucun sens. Le bac arrivait, je n'étais pas prête, je ne pouvais faire des saisons pleines, j'étais stressée.... Je me souviens que je me suis dit : "C'est bon, tu arrêtes. Ta vie va changer et ce n'est pas grave, d'autres choses t'attendent".
Vous avez eu votre bac finalement ?
Je l'ai eu à l'arrache, personne n'y croyait (rires). Après le rattrapage, tout le monde m'a félicité en me rappelant à quel point c'était inespéré.
Comment avez-vous imaginé votre reconversion ?
Je ne savais pas du tout quoi faire. Après le bac, j'ai même passé mon DE mais je ne voulais pas m'enfermer là-dedans. Je suis partie aux Etats-Unis car tout le monde faisait ça autour de moi. Je ne savais pas du tout ce que j'allais faire, je voulais juste partir. Finalement, je me suis retrouvée en Virginie à étudier la psychologie et le commerce. Dans ma tête, j'étais encore perdue, je suis restée un an à donner des cours de tennis dans un country club, et j'ai définitivement réalisé que ce n'était pas fait pour moi.
Je suis rentrée en France pour faire un Master dans les Ressources Humaines. J'ai aussi fait une alternance et découvert le monde de l'entreprise. Ça a été un choc… On n'est plus entouré comme avant par notre famille et des coachs qui nous disent qu'on est super fort. C'était dur. Même si maintenant ça se passe très bien, j’ai eu du mal à trouver ma place, à savoir comment agir. J'apprends encore tous les jours et parfois, je ne suis pas super à l'aise. Je suis encore en phase d'adaptation.
Une reconversion réussie, mais pas évidente donc ?
Oui, j'étais perdue et seule. J'aurais bien aimé avoir de l'accompagnement à l’époque. Quand on est joueur de tennis, on ne pense qu’à ça du matin au soir : si ce n'est pas l’entraînement, c'est des séances de physique, de la récup’, de la prépa mentale. Je pense que c’est de la responsabilité des instituts de pousser les jeunes à continuer à minima leurs études. De ma génération, il n'y en a pas tant que ça qui ont eu le bac, sauf si les parents étaient derrière.
Pourtant, dans son entourage, on a tous des gens qui peuvent nous aider. C'était mon cas, et justement c’est venu grâce au tennis : des amis ou des amis d'amis qui m'ont parlé du monde de l'entreprise, qui m’ont fait découvrir des possibilités. Il faut être curieux et penser à d’autres choses que le sport. Mais on ne peut pas tout faire tout seul.
Aujourd’hui, quel est votre métier ?
Je travaille pour le Boston Consulting Group, un cabinet de conseil en stratégie, très réputé au niveau mondial. Je m’occupe de recruter des consultants qui ont de l’expérience avec de beaux parcours professionnels et académiques. Les process de recrutement sont assez exigeants et je m’occupe de les préparer et les accompagner du mieux possible ! Mais en gros c’est un métier de recruteur axé RH.
Pas de regrets concernant votre carrière ? Est-ce que vous jouez encore au tennis ?
Je sais que j'ai eu de la chance, que le tennis m'a apporté pas mal de choses. De par mon caractère, je n’étais pas faite pour le sport professionnel mais pour suivre des études. Finalement, tout s'est déroulé comme prévu malgré les blessures !
Aujourd’hui, je ne joue que très occasionnellement. J'aimerais jouer un peu plus, mais mon dos me fait mal tous les jours, je n'arrive pas à le soigner. Donc je fais du yoga !
C'est vrai que je me suis coupée du monde du tennis, même si je regarde un peu les performances des Français, surtout des hommes qui sont mieux classés. Certains pensent que j'en veux à ce sport, mais pas du tout. J’ai juste tellement fait ça pendant des années que j'avais hâte de découvrir de nouvelles choses, dont le monde de l'entreprise
Votre famille joue encore ?
Oui, mes deux frères sont d’ailleurs entraîneurs dans les Yvelines. Finalement, le tennis fait toujours partie de la famille. C'était une partie trop importante de ma vie, de notre vie, pour que ça disparaisse du jour au lendemain.
(Recueilli par Emmanuel Bringuier)
© FFT / Christophe Guibbaud
Les frères et sœurs Chala n'en ont pas fini avec le tennis.