Avec lui, tout est allé vite. À 13 ans à peine, il gagnait ses premiers matchs en 2ème série adultes, en 2017. À 15 ans, il gagnait ses premiers matchs sur un tournoi pro lors des qualifications du Future de Bagnoles-de-l’Orne, début 2020. Il n’avait que 18 ans et 10 mois lorsqu’il a fait son entrée dans le top 100 en avril dernier, devenant ainsi le huitième joueur français seulement à intégrer cette élite avant ses 19 ans, le tout moins de deux ans après son titre à Roland-Garros chez les juniors.Bref, Luca Van Assche est du genre précoce. Aujourd’hui n°2 mondial des joueurs de moins de 20 ans derrière un certain Arthur Fils, le jeune espoir français a poursuivi sa progression exponentielle chez les pros lors d’une saison 2023 qui l’aura vu signer à Estoril sa première victoire sur le circuit principal, et remporter coup sur coup deux gros tournois Challengers, à Pau puis à Sanremo. Et ce n’est pas fini, bien sûr.À Orléans, où il a récemment atteint les demi-finales, Luca a pris le temps de nous parler de ses premiers pas chez les "grands", et de cette toujours délicate transition jeune/adultes (ou par extension juniors/seniors) qu’il a su, de son côté, très bien négocier. Son expérience montre que ce n’est facile pour personne, mais qu’affronter des adultes, pour un enfant, est aussi extrêmement formateur.
1/ On peut commencer très tôt
Selon l’article 201 des règlements sportifs de la FFT, il est possible de disputer ses premiers matchs seniors dès l’année d’âge de ses 11 ans, sous réserve d’un certificat médical. Voire 10 ans pour les jeunes filles intégrant certaines dispositions exceptionnelles.Luca, lui, se souvient avoir disputé ses premiers tournois adultes (FFT) alors qu’il n’avait pas 13 ans – mais il était déjà classé 5/6. "Mes adversaires étaient surpris de me voir, surtout que j’étais assez petit à l’époque, donc ils ne s’attendaient pas forcément à ce que je joue à ce niveau, se souvient-il, amusé. Cela dit, au début, je détestais jouer contre des adules. J’avais l’impression qu’ils ne me faisaient que des 'chops' et ramenaient toutes les balles. En termes de puissance, c’était compliqué. Et puis, petit à petit, j’ai aimé ça. J’avais quand même pas mal de qualités, je défendais bien, je me déplaçais bien, je m’arrachais… Alors finalement, ça s’est plutôt bien passé et j’ai réussi à gagner pas mal de matchs. Même si j’en ai aussi perdu beaucoup, avec le recul, ce sont de très bons souvenirs."Pas facile de tout se rappeler d’une période déjà loin, mais Ten’Up est là pour ça : en avril 2017, alors qu’il n’avait encore que 12 ans, Luca avait failli réussi sa première perf’ contre un 2ème série dans un tournoi adultes (défaite à 5/6, 7-5 au 3ème set). Il y est finalement parvenu en septembre 2017, battant un joueur classé 15 puis un autre classé 5/6, tous deux âgés d’une trentaine d’années… de plus que lui.
© Luca Van Assche lors des championnats de France 13-14 ans en 2018.
2/ Le style de jeu est (forcément) différent, et le classement (forcément) un peu plus fort
Cela va sans dire, mais cela va mieux en le rappelant : à classement égal, un adulte est plus fort qu’un jeune, ne serait-ce que sur le plan physique. Autant donc être prévenu : "Si tu es classé 15/1 chez les jeunes, tu joues probablement aux alentours de 15/3 adultes maximum, rappelle l’ancien champion de France des 13/14 ans. Donc obligatoirement, dès le 1er tour, cela va être dur. Il faut en être bien conscient et se donner au maximum sans se dire, en cas de contre-performance, qu’on a régressé. C’est juste que le niveau n’est pas le même."Le style non plus, du reste, et c’est d’ailleurs l’une des choses qui changent le plus au moment du passage à l’âge adulte, au-delà de la seule dimension physique. "Les adultes sont beaucoup plus intelligents, ils vont davantage chercher des solutions tactiques et ne lâchent généralement pas un point, prévient le protégé de Yannick Quéré. Cela change beaucoup mais c’est une très bonne école. Ce que j’appréciais dans le fait de faire des matches adultes, c’est qu’avec mon style de jeu, cela m’avait incité à beaucoup réfléchir tactiquement. J’étais obligé si je voulais gagner des matchs. Jouer des adultes m’a aidé à progresser, c’est certain."
© A classement égal, l'adulte possède a priori l'avantage sur l'enfant.
3/ Des défaites sévères ? Rien de grave !
Classements plus forts, adversaires plus costauds, plus aguerris tactiquement… On ne va pas se mentir : les premières joutes adultes peuvent vite, pour un jeune joueur, se révéler compliquées. Il ne faut pas s’en formaliser outre mesure – même si l’on sait bien qu’une défaite n’est jamais agréable – et se rappeler que Roger Federer lui-même avait perdu un match 6/0, 6/0 contre un "plus grand" que lui, alors qu’il n’avait que 10 ans."Moi aussi, il m’est arrivé de perdre 6/0, 6/0, ça fait partie de l’apprentissage, relativise Luca Van Assche. Je me souviens notamment d’un match quand j’avais 13 ans, je devais être classé 3/6, et mon adversaire 1/6. Je manquais déjà de puissance mais en plus, c’était le genre de joueur contre lequel il était difficile de marquer un point. J’avais pris 0 et 0, je ne sais même pas si j’avais eu des balles de jeu et le pire, c’est que j’avais fait un bon match, je m’étais accroché comme un porc du début à la fin (rires) ! Pour la petite histoire, environ un an plus tard, je m’étais entraîné avec ce monsieur. Et j’avais gagné. C’était un super apprentissage."Moralité : il ne faut pas se décourager et se servir de ces matchs comme d’un formidable tremplin. Les adversaires qui vous paraissent "monstrueux" du haut de vos 13 ou 14 ans vous sembleront peut-être très moyens quelques mois plus tard, quand vous vous serez étoffés physiquement et aguerris tennistiquement.Pour ceux qui sont dans la situation inverse, c’est-à-dire des adultes confrontés à des jeunes joueurs, Luca recommande d’ailleurs aussi de jouer au maximum sans se laisser apitoyer par la bouille juvénile de l’adversaire. "Personnellement, je n’ai pas souvenir d’un joueur m’ayant fait des cadeaux et c’est normal. Quand on fait un match, on le fait à fond. Laisser des points, ou des jeux, c’est un peu un manque de respect."C’est vrai, après tout : une roue de bicyclette n’a jamais tué personne. La roue, justement, tournera avec le temps…
© Perdre même parfois sur un score sévère fait partie intégrante de l'apprentissage !
4/ Il faut jouer pleinement ces matchs adultes, mais avec parcimonie
Il n’y a pas de match moins important que d’autres, mais il convient vraiment de vivre "pleinement" ces matchs adultes qui sont donc tellement formateurs pour les jeunes. "Je ne pense pas qu’il faille changer sa manière d’aborder les matchs adultes, ou les considérer comme de simples entraînements. Moi, en tout cas, je les jouais jouer à fond pour essayer de les gagner. Je n’ai jamais adapté mon jeu en fonction de l’âge de mon adversaire, mais toujours en fonction de son jeu à lui, se souvient celui qui a pris un set à Novak Djokovic en début d’année à Banja Luka. Je n’ai pas eu non plus de période de découragement quand je perdais car en fait, je continuais de gagner beaucoup de matchs chez les jeunes, ce qui me permettais d’entretenir ma confiance."Trouver un "mix" équilibré entre les tournois jeunes et les tournois adultes est sans aucun doute une voie de progression intéressante. Luca y a toujours veillé notamment aussi quand il s’est agi de faire, quelques années plus tard, une autre transition réputée difficile, celle entre les juniors et les seniors."Mais cette transition-là, ce n’est pas tout à fait la même chose car la différence ne se fait pas autant sur le plan physique, ni sur le plan technique, précise-t-il. À 17-18 ans, on continue bien sûr de se développer mais on est déjà bien formé. En revanche, l’intensité sur le plan mental et la rigueur tactique changent énormément entre les tournois juniors et les tournois Futures, tout comme d’ailleurs entre les Futures et les catégories du dessus."Petit à petit, en s’appuyant sur sa force de travail, ses facilités d’apprentissage et la qualité de son entourage, Luca Van Assche a progressivement franchi ces échelons, jusqu’à prendre définitivement son envol vers le grand monde des adultes, dans la foulée de son titre à Roland-Garros juniors, en 2021. Et aujourd’hui, c’est finalement un peu le même travail qui lui reste pour atteindre le dernier échelon : celui qui le sépare encore des tout meilleurs joueurs mondiaux.(Rémi Bourrières)
© Luca Van Assche avec le trophée du titre juniors de Roland-Garros en 2021, après avoir battu Arthur Fils en finale. Depuis, les deux jeunes hommes ont bien grandi.