Neuvième épisode : Serge Itzkowitch, grand passionné de tennis depuis son enfance et avec qui il se passe toujours quelque chose sur le court, comme ce jour où il s'est retrouvé le pied coincé dans le grillage pendant plusieurs minutes. Un jour de défaite...
Vous avez joué un match de 12 heures ? Vous avez battu Roger Federer quand il était jeune ? Vous avez gagné après avoir été mené 6/0 5/0 40-0 ? Vous avez gagné un tournoi en jouant pieds nus et en costume cravate ? Dans cette rubrique, nous vous invitons à partager vos plus belles expériences sur le court, quel qu'il soit (tennis, padel, beach...).
Identité : Serge ItzkowitchClub : Sporting-Club d’HoulgateMeilleur classement : 15/3Année de naissance : 1973
Serge, avant d’évoquer votre amour pour le tennis, parlons tout de suite de ce "match de votre vie". Vous avez choisi une défaite, mais c’est un match particulièrement étrange ! Quand a-t-il eu lieu ?
J’étais à peine majeur, c’était au tout début des années 1990. Je n’avais pas encore le permis car je me souviens que c’est mon frère qui m’a conduit en voiture à Franceville, où a eu lieu ce match. Comme les autres membres de ma famille, à qui je collais souvent la honte quand ils venaient me voir jouer, il n’aimait pas que je râle sur un court. Un peu plus tôt, sur un autre tournoi, il n’avait même pas osé dire qu’il était mon frère. Là, je lui avais promis d’être sage... Mais il s’est passé bien d’autres choses.
Vous êtes parfois nerveux sur le court ?
J’ai cassé près de 60 raquettes dans ma vie. À part Goran Ivanisevic, personne n’a cassé autant de raquettes que moi. Bien vite, mes parents ont arrêté de m’en acheter. Mais ça n’a rien changé. Même quand c’est moi qui les payais, je le cassais. Les raquettes de tous les meilleurs joueurs mondiaux ont fini soit dans un mur, soit dans un grillage ou soit par terre.
Qu’est-ce qui vous énerve le plus par exemple ?
Je joue un tennis d’attaque. J’enchaîne mes services au filet. Je fais aussi parfois retour/volée. Il m’arrive de ne pas supporter les types qui ne font que des lobs ou ceux qui ramènent la balle plus de quatre fois par échange. Là, je peux finir par péter un câble.
Et donc revenons à Franceville, que s’est-il passé ?
Il faut déjà parler de la surface. C’était le genre de courts qui n’existent plus aujourd’hui : les terrains étaient en dalles. Ces dalles étaient mal posées et contenaient des petits trous pour que l’humidité s’infiltre et qu’on puisse jouer quand il pleuviote. Les rebonds étaient constamment irréguliers et ça faisait un bruit de casserole. Il fallait constamment jouer avec, comme si l’on jouait sur gravier. On avait le choix entre ces dalles ou un terrain indoor dans une salle polyvalente avec les lignes de tous les sports. J’ai choisi les dalles...
Avez-vous réussi à rester calme ?
En arrivant sur place, un gars qui me connaissait a chuchoté à ses amis : "lui, vous allez voir : s’il perd le premier set, il faudra appeler les secours !"
Et vous avez perdu le premier set ?
Sur un court, je suis Henri Leconte et Jean-Paul Loth réunis. Je monte sur tout ce qui bouge et je commente tous les points. Là, rien. Comme j’avais promis à mon frère de bien me tenir, j’ai intériorisé mes frustrations. Je n’ai pas montré mes émotions. J’étais en ébullition, mais à l’intérieur. J’ai effectivement perdu le premier set et ma main s’est mise à me crisper. Ma raquette est tombée de ma main. J’avais la main comme si je tenais une balle, mais sans la balle. Ma main était figée, et il m’était impossible de la relâcher. Mon adversaire était plutôt sympa, on s’est assis tous les deux et on a discuté le temps que ma main se décrispe. Ça a duré cinq minutes.
Et le jeu reprend...
Il a continué son jeu de contre, à me faire des lobs et des balles cotonneuses. J’ai dû manger du lob pendant tout le deuxième set ! Mais l’autre fait marquant du match est une balle très croisée sur mon coup droit, qui me fait glisser jusqu’au bord du terrain. J’ai tellement glissé que mon pied est venu se loger sous le grillage. Impossible de m’en défaire ! Non seulement, je perds le point, mais je reste sous le grillage.
C’est sans doute un fait unique dans l’histoire du tennis...
Mon adversaire est venu m’aider. Il commençait à rire. Le match a de nouveau été interrompu plusieurs minutes. Le pied était passé de l’autre côté. On ne savait pas comment faire pour retirer mon pied sans que je me fasse mal.
Et vous, comment l’avez-vous pris ?
Oh, c’était tellement improbable que j’ai ri aussi.
Et votre frère ?
Il n’a pas regretté d’être venu ! Mais la morale de l’histoire est que quand je reste calme, je perds en deux sets et je me retrouve avec une main figée et un pied coincé dans le grillage...
Vous y repensez de temps en temps ?
Ah oui, mais toujours avec le sourire. En revanche, à Honfleur, quelques années plus tard, le jardinier du club avait oublié de remettre le couvercle sur la trappe qui se trouvait à côté du filet... J’ai fini dans la trappe sur une amortie et j’ai bien cru que je m’étais pété la jambe...
Vous avez parait-il des centaines d’histoires insolites de ce genre ?
Il m’est arrivé par exemple de finir avec les raquettes de mon adversaire, car j’avais cassé toutes les miennes. Une autre fois, toujours en Normandie, nous avons servi plus de 40 aces au total avec mon adversaire. Nous avons joué sur gazon synthétique avec des Dunlop Fort. Moi je sers assez fort, j’ai été flashé à 195 km/h une fois. Et mon adversaire était taillé comme une armoire normande. Ça s’est terminé au tie-break du troisième set. C’était comme un match entre Isner et Karlovic, tout en finesse ! Là, c’est moi qui ai gagné.Je me souviens aussi d’un match contre un non-classé qui était très fort. Un faux non-classé, qui n’avait pas dû envoyer ses feuilles de matchs gagnés (ce qui n’est plus possible aujourd’hui) pour rester non classé et ainsi surprendre son monde. Il était venu avec ses potes. Il s’amusait à jouer avec son autre main : il a joué le premier set de la main gauche et le deuxième de la main droite. J’étais 30 et il m’a écrasé. J’ai tout cassé. J’avais acheté les raquettes de Guy Forget qui étaient en forme de 8. Je les ai cassées de rage.
Quelle est votre plus belle perf ?
Elle n’a pas été homologuée. C’était contre un 15/1. J’ai pu aussi prendre un set à 5/6. Mon jeu d’attaquant peut gêner des joueurs de ce niveau. Quand je fais peu de fautes, comme je prends des risques, ça peut payer. Je monte au filet quel que soient les conditions. Je ne supporte pas de rester derrière la ligne de fond de court. Un jour, à Plaisir, j’ai joué en exhibition face à des joueurs classés entre -15 et 15/4. J’ai voulu leur en mettre plein la vue... J’ai eu mal au coude pendant six mois.
Vous jouez depuis toujours ?
Depuis l’âge de 5 ans. C’est mon grand-père qui m’a transmis la passion du tennis : Maurice Itzkowitch, qui a arbitré à Roland-Garros dans les années 1960.
Vous avez travaillé dans le tennis ?
Aujourd’hui, je suis directeur marketing dans le médical. Mais j’ai effectivement travaillé dans le tennis. J’ai passé deux ans à Tennis Magazine, entre 1996 et 1998. À ce propos, j’ai toute la collection depuis 1983 !
Quels sont vos joueurs préférés ?
McEnroe, Cash, Rafter, Edberg... Avec moi, il faut que ça attaque !
Et quel est votre pronostic pour Roland-Garros ?
J’aimerais bien un nouveau vainqueur. Je serai pour Dominic Thiem !