« Ils ont décidé d’abandonner en même temps... Mais comment on fait quand les deux joueurs veulent abandonner en même temps ? »
Vous avez joué un match de 12 heures ? Vous avez gagné après avoir été mené 6/0 5/0 40-0 ? Dans cette nouvelle rubrique, nous vous invitons à partager vos plus belles expériences sur le court, quel qu'il soit (tennis, padel, beach...).
Vingtième épisode : Vincent Dolé, un juge-arbitre qui a été confronté à un drôle de cas lorsque deux adversaires, suite à un litige, ont voulu... abandonner en même temps.
Identité : Vincent DoléClub actuel : Tennis Club de la Cisse (41330 Saint-Bohaire)Meilleur classement : 15/3Année de naissance : 1992
Pour cette chronique, nous accueillons un juge-arbitre. Vincent, quand a eu lieu ce match fou que vous avez juge-arbitré ?
C’est l’un des tout premiers matchs que j’ai juge-arbitré, en 2010. J’avais 18 ans et c’était la toute première édition du tournoi de mon club, dans le Loir-et-Cher. C’était un dimanche, a priori tout à fait normal. Je dois préciser que le tournoi avait une formule particulière...
Laquelle ?
Il y avait des poules. Une allant des non classés à 30/3, et une autre pour les 30/2 et 30/1. C’est dans ce dernier groupe qu’il s’est produit quelque chose de peu banal entre deux joueurs. L’un avait une quarantaine d’années et l’autre était un retraité d’une soixantaine d’années. Ils avaient chacun perdu leur premier match et jouaient donc pour l’honneur et pour prendre quelques points. Ils n’avaient plus aucune chance de se qualifier pour la suite.
Comme il y avait des orages ce jour-là, cette rencontre a été délocalisée à quelques kilomètres de là, à l’ASPTT Blois, qui possède deux courts couverts et qui nous les prête généreusement en cas de pluie. Comme nous étions plein de bonne volonté, nous avions décidé cette année-là de mettre un permanent sur chaque match, en cas d’altercation. Et moi je me suis retrouvé sur le leur. Et je n’ai pas été déçu !
Pourquoi ?
Il n’y avait pas de sièges dans ce court couvert mais je voulais avoir une vue sur le match. Je suis arrivé lorsqu’ils en étaient à la fin de l’échauffement, et je leur ai demandé du coup si je pouvais m’asseoir... sur la chaise d’arbitre, ce qui était la seule solution pour le suivre confortablement. Ils ont accepté. Le match a débuté normalement. Mais au milieu du premier set, lors du septième jeu, ça a dégénéré.
Que s’est-il passé ?
Le plus âgé des deux joueurs a lâché un coup droit proche de la ligne. Comme son adversaire ne l’a pas donné « out », je me suis permis d’applaudir ce qui me paraissait être un très beau coup gagnant. C’est alors que le quadragénaire s’est emporté et m’a interpellé : « la balle est faute ! Pourquoi tu applaudis ? ».
Il y a eu alors une prise de bec assez musclée entre les deux joueurs et durant laquelle je ne suis pas intervenu. « Mais ma balle est bonne puisque tu n’as rien dit ! » lui a répondu le retraité. Les insultes ont commencé à fuser... jusqu’à ce que le plus jeune des deux se mette à craquer : « de toute façon, j’arrête. J’abandonne ! ».
Il voulait donc abandonner à cause de ce litige ?
Oui. Mais le problème, c’est que son adversaire a tout de suite surenchéri : « non, ce n’est pas toi qui abandonnes, c’est moi ! ». Ils voulaient abandonner tous les deux, en même temps...
C’était simplement pour se provoquer ou pensez-vous qu’ils avaient la ferme intention de le faire ?
Ils voulaient le faire, car les deux ont rassemblé leurs affaires après avoir dit ça. Je me souviens que l’un des deux a sorti à ce moment-là une belle punchline : « de toute façon, moi je peux arrêter le tennis, je m’en moque, car je suis professionnel en cyclisme ! ».
C’était ma première expérience en tant que juge arbitre, donc j’étais un peu dépassé par les événements. Je me suis retrouvé à jouer le médiateur avec deux hommes qui visiblement se connaissaient et ne s’entendaient pas très bien, et qui avaient l’âge d’être mon père ou mon grand-père. Je leur ai d’ailleurs fait remarquer.
Avez-vous réussi à leur faire reprendre le match ?
J’avais d’un côté un joueur qui me disait qu’il avait eu sa dose et qu’il ne voulait vraiment plus jouer. Et de l’autre, un joueur qui me précisait qu’il ne voulait pas avoir la réputation d’un tricheur et qu’il préférait ‘laisser’ le match. J’ai essayé de leur expliquer qu’on était là pour se faire plaisir et qu’il s’agissait juste d’un petit tournoi de quatrième série où, dans le meilleur des cas, il y a une boîte de balles et une bouteille de Crémant à gagner (rires).
Le règlement ne prévoit peut-être pas de solution en cas de double abandon...
Oui et je leur ai dit que je ne pensais pas pouvoir inscrire un double abandon sur le tableau. Mais sur le coup, leur décision paraissait irrévocable. Je me suis posé plein de questions. Que dois-je faire lorsque je vais envoyer le résultat à la Fédération ? Est-ce que ça ne va pas me retomber dessus ? J’étais inquiet. On a quitté le court tous les trois sans trouver de compromis, à 3-3 dans le premier set et double abandon ! J’avais peur que cette première expérience de juge-arbitre soit aussi la dernière pour moi.
Et comment l’histoire s’est-elle terminée ?
Lorsqu’ils ont vu que je faisais mon maximum pour essayer de trouver une solution et de les ramener à la raison, ils ont accepté de reprendre le match. J’ai alors repris ma place sur la chaise et mon rôle de juge-arbitre, c’est-à-dire que je me permettais de les aiguiller et de confirmer ou infirmer leurs annonces quand les balles étaient proches de la ligne. Rien de plus.
Les deux joueurs ne se sont pas quittés bons amis après ce match, mais ils l’ont tout de même fini. Je ne me souviens plus du score ni même du vainqueur. Mais je me souviens que j’étais soulagé de ne finalement pas être confronté à ce cas d’école.
© FFT
Vincent Dolé
Avez-vous connu d’autres moments étonnants comme celui-ci en tant que juge-arbitre ?
Un souvenir plus amusant, toujours lors du tournoi de mon club. C’est un petit tournoi et l’ambiance est le plus souvent convivial. On rigole bien. Un jour, deux joueuses ont également vu leur match délocalisé à l’ASPTT Blois car elles habitaient toutes deux sur place. Elles jouaient le soir. Pendant ce temps-là, j’étais dans le club, à quinze minutes de là. Dans la soirée, vers 23h, elles ont téléphoné pour me dire qu’elles avaient un problème...
Elles entamaient le troisième set et l’éclairage venait de lâcher. Pour plaisanter, je leur ai conseillé de jouer le match au chifoumi (pierre-papier-ciseaux) et j’ai raccroché. Elles l’ont vraiment fait et m’ont rappelé ensuite pour me dire qui avait remporté ce chifoumi ! J’étais avec les copains du club et on a bien ri. C’était une blague évidemment. On a finalement décalé le programme et elles ont fini le lendemain. Je me suis permis ça car je les connaissais bien toutes les deux.
Vous avez 27 ans. Depuis combien de temps êtes-vous juge-arbitre ?
J’ai passé le diplôme de juge-arbitre à l’âge de 16 ans, soit cinq ans après avoir commencé le tennis, et je suis juge-arbitre depuis l’âge de 18 ans.
Pourquoi et comment devient-on juge-arbitre aussi jeune ?
J’aime bien rendre ce qu’on me donne. Je voulais faire à mon tour comme ces gens qui organisaient les tournois auxquels je participais plus jeune. C’est un peu comme quand on m’offre un verre, j’aime bien en offrir un à mon tour derrière. C’est parti là-dessus. J’ai commencé avec le tournoi d’été de mon petit club, près de Blois, dont je viens de vous parler. Il s’agit précisément du Tennis Club de la Cisse, qui est situé dans une charmante bourgade de 300 habitants et qui dispose de deux quicks extérieurs et d’un clubhouse.
Cette activité vous prend combien de semaines par an ?
Je le fais moins qu’avant. Car maintenant, j’ai quelqu’un dans ma vie (rires). Elle accepte le tennis mais de moins en moins car cela peut me prendre beaucoup de temps. Je pense que la fonction de juge-arbitre a évolué ces dernières années. Les joueurs qui s’inscrivent à un tournoi paient maintenant une prestation. Les bénévoles doivent être totalement disponibles comme des prestataires de services.
Vous jouez également. Quel est votre meilleur classement ?
J’ai été 15/3 mais j’aurais pu mieux faire. Car l’année où j’ai atteint ce classement, j’ai déclaré forfait à quatre reprises et j’ai été pénalisé. Disons que j’ai été un honnête joueur de troisième série.