Une fois sa carrière de champion terminée, le lutteur de haut niveau Ghani Yalouz est devenu DTN de la Fédération Française de Lutte, puis de la Fédération Française d’Athlétisme de 2009 à 2017. À 49 ans, il vient d’être nommé directeur de l’INSEP. Il évoque pour la FFT le tennis qu’il a pratiqué, les grands champions et Roland-Garros. Échanges.
Quel est votre rapport au tennis ?J’y ai beaucoup joué au Racing, à Besançon, jusqu’en 2000, date de mes derniers jeux Olympiques. J’en faisais aussi régulièrement lors des stages d’oxygénation à Font-Romeu. C’était un plaisir, qui permettait en même temps de développer l’aérobie, la mobilité, la pointe de vitesse, le coup d’œil aussi, car il faut savoir jouer le bon coup au bon moment, comme en lutte, où l’on doit décider très vite quelle prise effectuer. J’avais notamment battu le médecin de l’équipe de France de lutte, qui était bien classé. Moi, je ne l’ai jamais été. Comme Stefan Edberg, je voulais faire service-volée alors que je mesure 1,70 m. J’ai aussi appris à imiter le service de John McEnroe, un peu de dos par rapport au filet. Quand j’étais jeune, j’ai également fait 2 stages d’une semaine dans le Sud chez Pierre Barthès. Vous voyez, le tennis est un sport qui me passionne. Même si aujourd’hui, j’ai moins le temps de taper la balle.Quels joueurs admirez-vous le plus ?J’ai beaucoup aimé Edberg, mais je n’ai eu qu’un poster dans ma chambre, celui de Boris Becker. Quand il a gagné Wimbledon à seulement 17 ans, ça m’a énormément marqué. Je me souviens aussi de Chang, de Lendl, qui ne laissait rien transparaître, ou de Wilander. Même si je reste très francofrançais dans mon approche. Ce qui explique que je suive beaucoup Jo-Wilfried Tsonga dont j’admire la puissance. Aujourd’hui, je reste un passionné et un supporter des équipes de France, avec une préférence pour l’équipe de Fed Cup, et pour les garçons lors des tournois du Grand Chelem. Je trouve qu’il faut mettre les filles en avant, car l’équipe de France de Coupe Davis a déjà obtenu de bons résultats, j’étais d’ailleurs à Lyon en 1991, où j’ai vibré. Mais les filles n’étaient vraiment pas loin de l’emporter en finale l’an passé contre la République Tchèque. Et je trouve aussi qu’on n’a pas assez parlé des titres individuels d’Amélie Mauresmo, qui a un palmarès de dingo, de Mary Pierce (2 titres en Grand Chelem) ou de Marion Bartoli. On a tendance à oublier cet héritage, or dans le sport, il y a un devoir de mémoire. À la Fédération Française d’Athlétisme (FFA), j’avais fait revenir Marie-José Pérec, Christine Arron ou Jean Galfione comme ambassadeurs, car une fédération ne doit jamais oublier ses champions."Triste après la défaite de Nadal contre Söderling"Après la lutte et l’athlétisme, pourriez-vous devenir un jour DTN du tennis ?DTN non, manager, pourquoi pas. Désormais, c’est plus la proximité qui m’intéresse. Être une sorte de directeur sportif pour que les athlètes soient mis dans les meilleures conditions. Or l’accompagnement est essentiel. Car je le répète souvent : le meilleur talent, c’est l’envie. Mais on ne prend plus le temps de se parler, nous sommes dans un monde de télécommunication, pas de communication. Or les sportifs ne sont pas des machines, l’humain reste essentiel. En tant que DTN, je ne veux pas de textos, de mails. Je veux voir les athlètes, les rencontrer. Durant de nombreuses années, cela m’a conduit à faire un nombre incalculable de kilomètres. Je n’ai pas vu mes enfants grandir, je l’avoue, j’ai privilégié la qualité à la quantité de moments passés avec eux, mais c’est la seule solution pour réussir. Et par exemple obtenir des résultats historiques avec la fédé d’athlétisme. L’autre point qui me saute aux yeux, c’est qu’après être allés presque partout dans le monde, nous sommes à des années lumière en termes de préparation mentale, notamment par rapport aux pays anglo-saxons. En France, on assassine les sportifs quand ils perdent et on banalise leurs bons résultats. Prenons ce qui est bon chez les Anglo-saxons et adaptons-le à nos caractéristiques.Vous venez souvent à Roland-Garros ?Oui, c’est un spectacle magique. Je ne peux pas m’empêcher de supporter les Français, on me le reproche parfois. À Roland-Garros, j’ai assisté à la première défaite de Rafael Nadal contre Robin Söderling en 2009, j’en avais la larme à l’œil, je ne voulais pas qu’il perde. J’aime aussi quand le tennis devient un sport collectif comme à Lyon en 1991, lors de cette fameuse finale contre les États-Unis.Quel regard portez-vous sur la FFT ?Il s’agit d’une fédération qui dispose de beaucoup d’atouts : le tennis est un sport très télégénique, qui marche bien et compte près d’un million de licenciés, il y a Roland-Garros, elle forme beaucoup de bons joueurs et joueuses qui ont le privilège de très bien gagner leur vie. Quand j’étais lutteur, mes parents devaient attendre les jeux Olympiques tous les 4 ans pour me voir passer 3 minutes à la télévision française, alors que je passais régulièrement sur les chaînes russes ou dans les pays de l’Est. J’ai également dû un moment m’installer en Allemagne où la lutte était un sport professionnel.Malgré ça, les joueurs français courent après une victoire en Grand Chelem depuis 1983…Oui, mais le tennis est un sport compliqué. Je ne veux surtout pas donner de leçons. Il faut sans doute réfléchir collégialement, et ne pas tout mettre sur le dos d’une fédération, car la responsabilité des résultats incombe aussi au joueur, à son environnement. Et en même temps, il a besoin de sa « fédé », de son soutien, d’autant qu’il a été formé dans un club, dans une ligue. Mais la FFT a beaucoup de très bons joueurs (Gasquet, Simon, Monfils, Tsonga, Pouille, etc.), il ne manque pas grand-chose. À chacun d’analyser ce « grand-chose » pour fédérer les énergies, obtenir une sorte d’union sacrée. En même temps, au très haut niveau, il faut garder le plaisir de jouer. Et ne jamais négliger l’humain, créer de la transparence, de la discussion."Créer un parcours d’excellence, du club au club France"On a parfois l’impression que les résultats au très haut niveau éclipsent tout le reste…Très clairement, la priorité d’une fédération ce sont les champions, le haut niveau, car tu auras beau mettre en place tous les plans de développement du monde, avoir des millions de licenciés, ce qui fait rêver les gens aujourd’hui en tennis c’est quoi ? Gagner un Grand Chelem. Il faut donc laisser le temps au nouveau président et au DTN de travailler, ne pas aller trop vite, apporter un peu de fraîcheur. Un DTN doit tout partager avec son président mais aussi avec les bénévoles dans les clubs. L’idée étant de créer un parcours d’excellence sportive, du club au club France. N’oublions jamais qu’une fédération doit jouer son rôle d’éducateur, discuter avec les parents, les coachs, pour trouver la meilleure formule. En athlétisme, qui est une fédé multisports avec en plus une discipline collective, le relais, j’avais mis en place 9 managers.À la FFT, l’équipe en place va réfléchir à la mise à disposition des joueurs pour la Fed Cup et la Coupe Davis. Car ensuite, je suis persuadé que lorsqu’on porte le maillot bleu, on est transcendé. Je prends aussi l’exemple de mon neveu qui a pratiqué le tennis à un bon niveau en club, aujourd’hui il a son DE et donne des cours : lorsqu’il s’est blessé, il a eu le sentiment de ne plus exister, d’être mis de côté. Bref, plus que jamais l’humain, l’écoute sont à mettre au centre du projet pour anticiper, désamorcer. Ce sera le rôle du nouveau président qui semble avoir de bonnes idées. Comme dans d’autres fédérations, il y a sans doute des choses à faire évoluer, mais rien n’est simple, sinon tout le monde réussirait.Propos recueillis par B. BlanchetRepères• Décembre 1967 : Naissance à Casablanca• 1996 : Médaille d’argent en lutte gréco-romaine(moins de 69 kg) aux J.O. d’Atlanta• 2000 : Derniers J.O. à Sydney. Arrête sa carrière (doublechampion d’Europe, deux fois vice-champion du monde)• Janvier 2007 : DTN à la Fédération Française de Lutte• Mars 2009 : DTN à la Fédération Française d’Athlétisme• Février 2017 : Directeur de l’INSEP