Regarder Roland-Garros à la télévision est une activité éminemment agréable, c'est entendu. Mais qui peut aussi être tout à fait prolifique, pour peu que vous regardiez les matches sous le bon angle…
Ne vous fiez pas aux préjugés. Oui, regarder du sport à la télévision peut aussi être une manière de faire sport.Pour qui s'en donne la peine, il est tout à fait possible de progresser en observant les champions. Et ça tombe bien, on est en plein Roland-Garros !Encore faut-il ouvrir l'œil et le bon. Cyril Brechbühl, référent scientifique au Centre National d'Entraînement, nous explique comment.
1) Fouillez dans les détails
"Quand on lit un livre, à la fin d'une page, on a une idée globale de ce qu'il en ressort. Mais si on veut tirer toute la substance du texte, il faut aller chercher plus profondément le sens d'un mot, décortiquer la tournure d'une phrase. Quand on regarde des champions à la télévision, c'est la même chose : pour véritablement s'en inspirer, il faut aller fouiller dans les détails…"En bon scientifique du sport – outre son Brevet d'Etat 2e Degré, il est professeur de sport, titulaire d'un Doctorat en Sciences de la Vie et d'un Masters en Sciences du Sport -, Cyril Brechbühl nous prévient d'entrée : c'est peut-être contraire à l'idée qu'on se fait de l'activité, mais pour progresser en visionnant Roland-Garros à la télévision, il va falloir "bosser". Non pas regarder les matches de manière passive, mais bel et bien active, c'est-à-dire en se focalisant sur des points précis et en s'y tenant, quitte à regarder plusieurs fois certains passages au ralenti."Dans une gestuelle, il y a des points-clés : les appuis, les petits pas, la prise de raquette, le regard, la manière d'utiliser le bras libre, la mise à distance, la prise d'élan dans le temps... Le geste parfait, c'est une addition de petits détails. Ce sont ces petits détails qu'il faut regarder pour ensuite arriver à les reproduire."Bref, oubliez un temps l'aspect émotionnel. Pour progresser, restez dans le rationnel.
Gardez l'oeil ouvert et le bon pendant Roland-Garros !
2) Laissez votre cerveau s'imprégner
Vous avez peut-être déjà vécu cette expérience : vous regardez jouer des champions, puis vous allez vous-même taper la balle et, lors des premiers coups de raquette, vous avez la sensation d'une vraie fluidité dans vos gestes. L'effet, malheureusement, finit par s'estomper, plus ou moins vite. Mais il n'est pas anormal : c'est le cerveau qui fait du mimétisme. L'idée serait de maximiser les effets de ce mimétisme."On sait que regarder les autres nous fait gagner du temps d'apprentissage, poursuit l'ancien entraîneur d'Ugo Humbert. Si on est livré à soi-même, on est dans une configuration essai/erreur. Le fait d'avoir un référent sur un geste permet de nous aider sur la représentation mentale de ce qu'il faut faire pour bien effectuer ce geste. En quelque sorte, cela donne une base de données au cerveau. Ensuite, celui-ci peut aller piocher dans les bonnes solutions qui lui auront été indiquées."Ces lumières rouges envoyées au cerveau ne sont pas forcément purement techniques. Elles peuvent aussi être abstraites voire, pour le coup, purement émotionnelles. "Il n'y a pas un seul coup droit ou un seul revers magique, il y en a plusieurs. L'idée est de trouver une forme gestuelle qui nous correspond. Ensuite, ce que l'on peut voir, ce sont des équilibres à la frappe, une rythmique dans l'exécution d'un coup mais aussi une forme de beauté qui peut marquer nos esprits et dont on peut ensuite s'inspirer."Nourrissez simplement le cerveau avec un maximum d'images disponibles. Ensuite, laissez-le faire le tri.
© FFT / Emilie Hautier
Dans votre canapé ou dans les transats du stade, laissez votre cerveau s'imprégner des beaux coups de Roland-Garros.
3) Ne vous focalisez pas uniquement sur les échanges
Quand on regarde un match de tennis, on a tendance, logiquement, à regarder les échanges puis à relâcher son attention entre les échanges. C'est peut-être une erreur, dans la mesure où ce qui ce passe durant ces temps morts est aussi extrêmement riche d'enseignements."Observer les champions, c'est aussi observer des attitudes sur la gestion des émotions, fait remarquer celui qui a par ailleurs été (notamment) le préparateur physique de Jo-Wilfried Tsonga. Dans les moments délicats, il faut vraiment scruter ce que les joueurs mettent en place pour garder la tête froide et essayer de s'en sortir. Observez bien le body-language. Les mieux classés sont les meilleurs là-dedans, sans doute parce qu'ils maîtrisent davantage leur jeu, certes, mais aussi parce qu'ils sont les plus au clair sur la stratégie à mener."A côté de cet aspect mental, il y a aussi l'aspect tactique, bien sûr. Il est bon tout simplement de regarder la stratégie menée par les champions et leur façon de respecter des fondamentaux : "jouer long, insister sur le point "moins fort" de l'adversaire, ou au contraire le fixer au centre, utiliser l'amortie qui est très importante sur terre battue, etc."Des choses très simples que l'on peut reproduire à tous les niveaux. Seule change la vitesse d'exécution.
© FFT / Julien Crosnier
Observez aussi les champions entre les points...
4) Ne regardez pas que vos joueurs préférés
Quand on allume la télévision pour regarder Roland-Garros, c'est bien souvent pour voir à l'œuvre ses joueurs préférés. Pourtant, si on le fait dans une démarche de progression, il est bon d'aller s'abreuver un peu partout et pas uniquement à notre source favorite."Bien sûr, il faut s'inspirer des styles qui nous marquent ou nous parlent le plus, et il y a un intérêt à se spécialiser dans une identité de jeu, mais il faut aussi s'ouvrir à d'autres stratégies parce que quel que soit son niveau, il y a forcément des adversaires qui nous emmènent dans un registre différent, acquiesce le référent du projet fédéral BEST (B comme biomécanique, E comme entraînement perceptif, S comme stratégie, T comme transfert de données), qui vise à optimiser les performances des meilleurs espoirs français grâce à l’utilisation de technologies novatrices. J'invite donc les compétiteurs à ne pas regarder à un seul endroit, mais aller piocher un peu partout."Novak Djokovic, Rafael Nadal, Carlos Alcaraz ou Iga Swiatek : on s'aperçoit qu'ils sont à eux seuls des synthèses de ce qui se fait de mieux partout ailleurs."Là où on veut souvent mettre les joueurs dans des cases - attaquant défenseur, grand serveur, bon relanceur, etc. -, eux sont un peu tout ça à la fois. Et ils expriment une dominante en fonction des moments et des adversaires. On s'aperçoit à travers leur exemple que le tennis est une somme de contenus inépuisable. C'est ça aussi qui est passionnant à observer."(Rémi Bourrières)