Définir sa bonne identité de son jeu, au-delà de la technique, est une manière très efficace de progresser. Adrian Mannarino livre ses conseils pour trouver la vôtre.
Quand il a établi ses premiers faits d'armes sur le circuit, avec notamment une demi-finale au Moselle Open en 2008 à l'âge de 20 ans, Adrian Mannarino était perçu comme l'archétype du joueur doué et "facile", mais peut-être un peu indolent. Aujourd'hui, dans le microcosme, il est plutôt défini comme un contreur/défenseur.Entre-temps, le gaucher du Val d'Oise a beaucoup réfléchi sur son identité de jeu, qu'il a largement fait évoluer au milieu des années 2010, date à partir de laquelle il s'est mis à obtenir ses meilleurs résultats, à l'approche de la trentaine.La réflexion faite par "Manna" est fondamentale aussi pour les joueurs de club.
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Adrian Mannarino est depuis quelques années en parfaite "adéquation" avec son identité de jeu.
1/ Ne confondez pas "tennis de rêve" et "tennis efficace"
Il faut reconnaître qu'on est tous un peu pareils quand on joue au tennis, surtout à l'ère des "hot-shot" qui tournent en boucle sur les réseaux, et après vingt ans placés sous le signe du génie de Federer."Beaucoup de jeunes grandissent en ayant pour idole des joueurs qui pratiquent ce qu'on appelle un beau tennis, c'est-à-dire offensif, avec beaucoup de points gagnants, analyse Adrian Mannarino. J'ai vu beaucoup de joueurs se perdre là-dedans, y compris des joueurs très doués qui auraient pu aller très haut. Moi aussi, j'ai longtemps été comme ça. Et puis, j'ai fini par comprendre et accepter que ce n'est pas ce qui marchait le mieux pour moi. A partir de là, j'ai mis en place autre chose. Et c'est comme ça que j'ai réussi à optimiser mon jeu."Quitte à s'éloigner du "tennis de rêve" de son enfance, comme il le dit avec humour : "A un moment donné, j'ai tiré un trait sur mes espoirs de pratiquer un beau tennis. Aujourd'hui, je ne supporte pas de me regarder à la télé, j'ai l'impression que c'est horrible, immonde. Mais je préfère jouer comme ça et gagner ma vie plutôt que jouer "champagne" et perdre chaque semaine en Challenger." Sur cette dernière analyse, il est difficile de lui donner tort.
Non, tout le monde ne peut pas développer un tennis "champagne" façon Roger Federer.
2/ Prenez le temps de la réflexion
La réflexion étayée par Adrian Mannarino suppose une certaine dose de lucidité mais aussi d'honnêteté avec soi-même. Elle ne se fait pas non plus d'un claquement de doigts, passe souvent par beaucoup de discussions et de remises en question."Je suis passé par tous les états avant de trouver mon style et cela a été le fruit de nombreuses discussions notamment avec l'un de mes anciens coaches, Jean-Christophe Faurel, qui m'a beaucoup poussé dans cette voie, explique par ailleurs l'ancien 22e joueur mondial (en 2018). Progressivement, j'ai adopté un tennis solide et régulier. J'ai mis du temps aussi à trouver l'équilibre entre être un joueur solide tout en gardant une certaine dose d'imprévisibilité. Il ne faut pas non plus oublier la notion de plaisir qui est capitale. Bref, c'est un subtil équilibre et cela prend du temps pour trouver la bonne recette."Mais le postulat de base reste le même : "Avant tout, il faut être très honnête avec soi-même, ne pas se mentir sur ce que l'on fait bien ou pas bien. Au tennis, on ne se sent jamais mieux que quand on réussit plein de coups gagnants mais si ce n'est pas possible, ce n'est pas possible. A l'inverse, d'autres joueurs auraient les moyens de développer un tennis offensif mais ne le font pas par manque de confiance ou de courage."S'aider d'entraîneurs professionnels dans le cadre de cette réflexion est évidemment très important, sinon indispensable.
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A l'image de Caroline Garcia, qui a pris le temps de clarifier son identité de jeu avec son père Louis-Paul et son entraîneur actuel Bertrand Perret, prenez le temps de la réflexion.
3/ Passez toutes vos forces et faiblesses au scanner
Au-delà de sa volonté ou de ses envies, au-delà aussi bien sûr de ses spécificités physiques et mentales qui sont des données importantes (bien que modulables) dans la construction de son identité de jeu, il y a une réalité technique à prendre en compte.Savoir définir ses points forts - et ses points moins forts – paraît une évidence pour dessiner l'esquisse de son identité. Mais ce n'est bien sûr pas suffisant. Roger Federer et Rafael Nadal ont beau avoir deux énormes coups droits tous les deux, ils ont aussi une façon bien différente de le jouer.
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Le style Garcia, c'est bien sûr un gros service, un gros coup droit, et une agressivité de tous les instants.
4/ Libérez-vous des étiquettes
On a parfois tendance aussi à mettre les joueurs de tennis dans des cases un peu trop restreintes : attaquant ou défenseur, "limeur" ou puncheur de fond de court. Le tennis est un sport un peu plus complexe.Le "check-up" réalisé par Adrian Mannarino a ainsi été long à définir : "Je me suis moi-même demandé quelles étaient mes forces, et quelle était la meilleure manière de les utiliser. Je me déplace bien, je suis assez patient, je suis beaucoup moins puissant mais plus régulier que la moyenne. C'est comme ça qu'on en est arrivé à définir ce profil un peu contreur. En même temps, comme je le disais, j'ai tenu à cultiver une part d'imprévisibilité. J'ai toujours été assez joueur donc développer ce tennis un peu cérébral, un peu "chat et souris", ça me correspond. Aujourd'hui, je continue d'apporter quelques petites modifications mais globalement, je reste collé à ce style."
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Adrian Mannarino, un joueur contreur au profil assumé.
5/ Faites le maximum de travaux pratiques en match
La théorie, c'est bien. Mais il arrive un moment où il est obligatoire, justement pour s'aider dans sa réflexion, de s'appuyer sur du concret. En match, impossible de se voiler la face : la vérité est mise à nu par la réalité du résultat. "Trouver son identité de jeu, ça vient aussi avec l'enchaînement des matches qui obligent à se remettre tout le temps en question, rappelle ainsi Adrian Mannarino. Par exemple, sur un match, on a l'impression de bien frapper la balle donc on va s'engager au maximum et on finit par perdre. Alors, on va se dire : est-ce que je n'aurais pas dû jouer un peu plus défensif ?"Celui qui a remporté cette année le tournoi de Winston-Salem estime que c'est malgré tout dans la victoire que finit par jaillir la vérité : "Quand un joueur commence à enchaîner les victoires, il trouve sa zone de confort, son jeu se met bien en place et c'est à ce moment-là, souvent, que l'on arrive à bien percevoir son identité de jeu."Trouver son identité de jeu pour gagner, gagner pour trouver son identité de jeu… L'équation est complexe, voire subtile. Mais il y a une réalité qui ne trompe pas : il n'y a aucun grand champion qui n'ait pas un style parfaitement identifié.(Rémi Bourrières)
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Les récentes victoires de Caroline Garcia valident son identité de jeu !