Au tennis, on parle souvent du dernier point d’une partie, la fameuse balle de match. Mais beaucoup moins du tout premier, effectivement plus anecdotique a priori et pourtant tout aussi générateur de stress, parfois plus. Tous les compétiteurs connaissent bien ce petit moment de solitude, on n’ose dire d’angoisse, qui fait le pont entre la fin de l’échauffement et le début de la partie.Ce moment particulier, durant lequel le temps semble comme suspendu, reste aussi chargé en émotions quel que soit le niveau, quel que soit l’enjeu. Nous en avons parlé récemment au Moselle Open avec Harold Mayot, où le jeune Lorrain de 21 ans a atteint son premier quart de finale sur le circuit principal en battant deux joueurs du top 100, Yosuke Watanuki et Grégoire Barrère.L’ancien n°1 mondial juniors, tour à tour surpris et amusé par ce thème, nous a donné sa manière à lui d’aborder ce fameux premier point. Tout en précisant une chose : ce qui compte, ce n’est pas tant LE premier point que LES premiers points.
1/ Evitez de le sacraliser… ou de le banaliser
Véridique : il existe des joueurs amateurs – on en connaît au moins un – qui poussent la superstition tellement loin qu’ils considèrent que le vainqueur du premier point sera aussi le vainqueur du match. On ne sait si cette croyance se vérifie par les statistiques, mais avouons-le : elle est pour le moins farfelue."Bien sûr, le premier point est important mais il ne faut pas s’en faire une montagne non plus. Personnellement, je veux gagner tous les points, pas plus le premier que le huitième", assène Harold Mayot tout en rappelant que plus le niveau s’élève, plus le service a de l’importance et donc moins on a de chances de gagner le premier point si on commence le match au retour.Si le stress est souvent à son comble dans les secondes qui précèdent ce premier point, cela n’en fait pas pour autant un point plus important qu’un autre. Ni moins important, du reste. En somme, il ne faut ni le sacraliser ni le "brader" sous prétexte, à l’inverse, qu’il serait trop éloigné de la poignée de mains."Ce premier point est un point comme on va en jouer des dizaines et des dizaines durant la partie, résume Harold Mayot. Il faut donc l’aborder en étant le plus chaud et le plus prêt possible." Ni plus, ni moins.
© Comme Rafael Nadal, soyez chaud pour jouer le premier point, mais prêt aussi à en jouer beaucoup d'autres !
2/ On a plus de temps pour le préparer que les autres
S’il y a bien une spécificité propre au premier point, c’est celle-ci. Une infinité de temps en plus pour l’appréhender. Ensuite, tous les autres points s’enchaîneront en quelques secondes, un peu plus s’il s’agit du premier point d’un jeu après un changement de côté.Le tout premier point du match, lui, peut être envisagé dès l’échauffement voire bien avant. C’est à la fois une chance, parce que cela donne la possibilité de parfaitement s’y préparer. Et un piège, parce que l’on peut y perdre beaucoup d’influx à trop cogiter. Certains aiment prendre le temps de la réflexion, décider en amont quelle zone ils ou elles vont servir d’entrée, ou fixer à l’avance une stratégie bien précise.Harold, lui, ne souhaite pas se faire trop de nœuds au cerveau avec tout cela."J’arrive avec des schémas tactiques en tête, je sais déjà tout ce que veux mettre en place pendant le match, mes intentions de jeu, etc. Mais ce que je vais faire spécifiquement sur le tout premier point, je n’y pense pas jusqu’aux dernières secondes qui le précèdent, explique le vainqueur de l’Open d’Australie juniors 2020. Ce qui est sûr en revanche, c’est que quand il arrive, je suis parfaitement prêt à le jouer, parce que j’ai fait ce qu’il fallait avant."
© Comme Novak Djokovic, soyez sûr de votre plan de jeu avant d'entrer sur le court, vous serez prêt dès le premier point !
3/ Envoyez tout de suite un message à l’adversaire…
Si vous avez vous aussi la bonne habitude d’aborder vos matchs avec des intentions très claires, en termes de tactique ou d’attitude, pourquoi attendre le deuxième point du match pour le montrer ? Vous avez possibilité de frapper d’entrée les esprits. Ne vous en privez pas.Après, comme le rappelle Harold Mayot, "l’entame de match n’est pas la même selon si on est au service ou au retour, mais aussi selon le profil du joueur. Quelqu’un comme Giovanni Mpetschi-Perricard va chercher tout de suite à frapper très fort pour marquer son adversaire. Moi, je suis plus dans le combat et je cherche à l’instaurer d’entrée. Mon état d’esprit, c’est que si j’ai réussi à mener un beau combat, si j’ai donné le maximum, c’est déjà une victoire en soi même si j’ai perdu."L’idée serait de faire comprendre tout de suite à l’adversaire la nature et la difficulté de la mission qui l’attend. Si vous avez un gros physique et que vous imposez dès le premier point un long échange que vous achevez en sifflotant (c’est une image), ça va le marquer. Si vous avez pris la résolution de l’attaque à outrance et que vous tentez d’entrée un service-volée, ça va l’interpeller. Si vous avez décidé de varier et que vous placez d’entrée un retour amortie, ça va le surprendre.Pas de complexe ni de tergiversation : le premier point devra être à l’image de la manière dont vous envisagez le match dans sa globalité.
© Si Harold Mayot peut instaurer un gros combat dès le premier point, il ne s'en privera pas.
4/… Tout en prenant un maximum d’informations sur lui
Bien sûr, il y a eu l’échauffement pour cela, ou éventuellement ce que vous savez déjà de l’adversaire. Mais cela ne suffit pas. Il ou elle a pu brouiller les pistes lors des cinq minutes d’avant-match, faire évoluer son jeu depuis votre dernière rencontre ou décider d’employer une tactique différente. Finalement, le(s) premier(s) point(s) du match a des chances de vous renseigner davantage que ce que vous pensez déjà savoir : c’est le fameux round d’observation."En début de match, j’essaie toujours de regarder ce que l’autre va faire, ses intentions de jeu, s’il a l’air tendu ou pas, en forme ou pas, confie ainsi celui qui a atteint cette année la 154e place mondiale. C’est pour cela que bien souvent, notamment quand je commence au retour, j’essaie de faire jouer au maximum. Mon but est de prendre le plus d’informations possibles sur les premiers échanges."Evidemment, le(s) premier(s) point(s) du match n’ont pas non plus valeur de parole d’Evangile. L’adversaire peut se rater sous l’effet de la tension, avant de se libérer progressivement. Il peut lui-même changer de stratégie selon ce qu’il aura décelé de vous. Bref, il s’agit juste d’un indicateur que l’on peut suivre, mais pas aveuglément. "C’est au bout de quelques jeux que l’on peut commencer à tirer quelques conclusions, affiner ses schémas tactiques ou même parfois en changer", conclut le Messin.De la même manière, notez comment vous-même vous vous sentez sans en tirer un enseignement trop hâtif. On dit cela car des joueurs qui décrètent au bout d’un point qu’ils ne sentent rien ou qu’ils sont dans un mauvais jour, on en connaît aussi…
© Comme Coco Gauff, une manière de bien entrer dans votre match, c'est aussi de bien analyser ce que vous propose votre adversaire...
5/ Servez-vous en pour évacuer du stress
On en revient à ce que l’on disait en préambule. De tous les points du match, le premier est l’un des plus générateurs de stress, pour des raisons qui lui sont propres : les instants qui le précèdent sont comme un saut dans l’inconnu, à l’inverse par exemple d’une balle de break qui est sans doute plus cruciale, mais qui se négocie dans le feu de l’action.C'est un peu comme le premier coup d'un golfeur : il va en taper plusieurs dizaines d'autres dans la même partie, mais le tout premier est générateur d'une tension très particulière car il donne le ton.Ce stress n’est pas forcément agréable mais que l’on se rassure : il est le même pour tout le monde. "On a tous du stress avant de débuter match, moi-même j’en ai autant aujourd’hui qu’avant, peut-être même encore plus car les enjeux sont plus grands, confirme Harold Mayot. La seule différence quand on est pro, c’est qu’on le gère mieux, notamment parce que l’on pousse beaucoup plus l’échauffement. Cela permet de se mettre dans une sorte d’état de transe qui nous permet d’être performant dès le premier point."Chez les amateurs, on en voit beaucoup qui, pris par ce stress, ont presque tendance à se "débarrasser" de l’entame de match, comme s’il s’agissait d’une forme de prolongement de l’échauffement. Mieux vaut au contraire la vivre à fond et s’appuyer dessus pour, justement, se libérer au maximum de ce surplus d’angoisse."Quand on est vraiment stressé, c’est bien aussi de mettre en place ses propres routines dès le premier point, conseille Harold Mayot. Refaire ses lacets, s’essuyer le visage… N’importe quoi, mais quelque chose qui nous rassure et nous évite de trop cogiter avant de se placer pour le premier point. Surtout, il ne faut pas oublier un truc : l’autre est tout aussi stressé."Une fois tout ceci bien au clair, vous pouvez y aller. Reprise !(Rémi Bourrières)