Longtemps réputé comme un coup insolent, le service à la cuillère s’est récemment réinstallé dans les mœurs. C’est une arme fantaisiste qu’il faut savoir manier, comme nous l’enseigne l’un des adeptes du genre, Constant Lestienne.
Premier joueur de l’histoire à servir au-dessus de l’épaule, lors de l’édition 1878 de Wimbledon, le Britannique Arthur Thomas Myers avait fait sensation à une époque où tout le monde servait "par en-dessous".Et puis, les temps ont changé. Plus d’un siècle plus tard (en 1989), lorsque Michael Chang a osé revenir à l’engagement ancestral en décochant son mythique service à la cuillère face à Ivan Lendl sur le central de Roland-Garros, beaucoup ont crié à l’antijeu (ci-dessous à 3h27').
© FFT / Julien Crosnier
Les conseils de Constant Lestienne pour un bon service à la cuillère !
Choisissez bien votre moment
Certains l’aiment show, d’autres le tentent sur les points peu importants, ou à l’inverse sur des balles de break, voire quand ils accumulent les double-fautes. Chacun son moment pour faire un service à la cuillère. Tout ceci est une question de feeling très personnel.Constant Lestienne, lui, le tente plutôt "dans les moments où je sens que ma concentration s’échappe un peu, dit-il en citant comme exemple l’un de ses plus réussis, contre Andrew Harris aux qualifications de Roland Garros 2020. Dans ces moments-là, j’ai besoin de m’autoriser à faire une "bêtise", pour me remettre dedans."
Une seule règle, qui paraît évidente : il ne faut pas en abuser. Sinon, ça tue l’effet de surprise. Il ne faut pas le faire, non plus, toujours au même moment (genre à 40-0). "Il faut le faire précisément quand l’adversaire s’y attend le moins, poursuit l’ancien 142è joueur mondial (en 2019). Ça, c’est très instinctif. En général, on ne le réfléchit pas longtemps avant. Mais quoi qu’il en soit, le choix du moment est peut-être le plus important."
Choisissez bien votre adversaire, aussi
Le service à la cuillère n’est pas réapparu sur le circuit par simple effet de mode, mais aussi en réponse à une évolution de la position désormais très reculée de certains relanceurs, parfois collés aux bâches du fond. Même si on en arrive rarement à de telles extrémités chez les amateurs, choisissez quand même votre "victime" en fonction de sa position d’attente.Surtout, étudiez bien son profil. "Face à des joueurs comme Hugo Gaston ou Corentin Moutet, qui ont une main extraordinaire, je ne m’amuserais pas à servir à la cuillère, admet Constant Lestienne. En revanche, je connais certains joueurs qui vont être beaucoup plus maladroits à le négocier, parce qu’ils ont moins de toucher. Ce sont eux qu’il faut cibler en priorité."Ceux aussi dont il vous semble qu’ils se laisseront plus facilement affecter mentalement. Car encaisser un service à la cuillère, avouons-le, c’est toujours plus dur à digérer que de perdre un point de manière classique.
Surtout, assurez-vous que celui-ci soit prêt
Ça paraît contradictoire avec l’effet de surprise nécessaire, mais c’est capital. D’abord pour laisser croire le plus possible à l’adversaire que vous allez servir normalement. Mais surtout pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec le règlement. Celui-ci dit certes que c’est le serveur qui dicte le rythme entre les points, mais à la condition préalable que le relanceur soit prêt."Il faut faire attention à ça car pas mal de joueurs ont tendance à dire, après avoir subi un service à la cuillère, qu’ils n’étaient pas prêts, avertit Constant Lestienne. La plupart du temps, si, ils l’étaient. C’est juste qu’ils sont surpris ou ne le vivent pas bien. Donc il est important de bien vérifier que votre adversaire est en position d’attente. S’il y a un arbitre, normalement, il regarde d’abord le relanceur, puis le serveur. A ce moment-là, c’est bon, vous pouvez y aller."
L’effet slicé extérieur est primordial
Là, on rentre dans des considérations techniques. A l’image encore du modèle du genre réussi par Chang en 1989, il faut essayer de viser la zone la plus courte et la plus sortante possible, au moyen d’un effet slicé extérieur qui fait tout le sel d’une cuillère bien exécutée."Je n’aime pas trop les services à la cuillère de Kyrgios et de Bublik qui se contentent généralement d’une petite poussette dans le carré mais sans effet particulier, commente Constant Lestienne. En fait, ils misent tout sur l’effet de surprise. Moi, comme je ne suis pas capable de servir aussi fort qu’eux, je mise plutôt sur la qualité de mon coup."Pour générer cet effet extérieur, il est souvent nécessaire d’adapter sa prise. "Personnellement, j’adopte une prise marteau, la même que pour faire une volée ou une amortie de coup droit, poursuit l’Amiénois. Il faut donc changer discrètement mais n’ayez crainte : avant de relancer, votre adversaire est rarement en train de scruter la manière dont vous ajustez votre prise !"
© FFT / Nicolas Gouhier
Pensez à générer l'effet "extérieur" !
Last but not least, cette nécessité de trouver la zone extérieure, pour ne pas vous exposer à un violent retour de bâton, ne vous laisse guère le choix : le service à la cuillère sera beaucoup plus efficace côté avantage, pour les droitiers, et côté égalité pour les gauchers.
Pensez déjà au coup d’après
Rappel indispensable : le service à la cuillère se termine rarement par un ace. Tant mieux si c’est le cas, mais vous devez plutôt avoir à l’esprit de le jouer en deux temps."Si votre service à la cuillère est bien exécuté, le plus souvent, votre adversaire n’aura d’autre choix que de monter au filet après son retour, explique encore Constant Lestienne. Derrière, fixez-le avec un passing à contre-pied, ou engouffrez-vous dans l’ouverture s’il y a la place. Sinon, encore mieux, le lob à contre-pied : bien réussi, c’est l’assurance de gagner le point !"Voilà, il n’y a "plus qu’à". Ah oui, une dernière chose, tout de même : si vous êtes vous-même victime d’un service à la cuillère – ça arrive... -, prenez-le avec le sourire. C’est peut-être, tout simplement, que votre adversaire a lu ces lignes, lui aussi...Rémi Bourrières