Dans ce nouvel opus de "Conseil aux compétiteurs", l’ancien 50e joueur mondial Stéphane Robert nous explique comment mieux gérer les temps morts entre les points, qui représentent l’essentiel d’un match de tennis.
Aviez-vous déjà réalisé que, pendant un match de tennis, vous passez le plus clair de votre temps… à ne pas jouer au tennis ? Quelques secondes entre chaque point, quelques minutes entre les jeux sans parler de toutes les petites pauses qui peuvent survenir çà et là pour différentes raisons font qu’au bout du compte, les temps morts représentent environ 80% d’un match.
C’est dire l’importance de savoir gérer au mieux ces temps morts pendant lesquels le cerveau peut se laisser gagner par des pensées qui seront, au choix, bienfaitrices ou néfastes, et qui auront ainsi une influence importante sur le point suivant. Donc sur le score final. Donc, plus globalement, sur le joueur que l’on est.
L’ancien joueur français Stéphane Robert, dont la carrière s’est envolée sur le tard – il a atteint la 50e place mondiale à 36 ans, en 2016 -, après avoir justement entrepris un gros travail sur son état interne entre les points, nous aide à comprendre comment optimiser ces temps morts qui sont, finalement, tout aussi cruciaux que la maîtrise d’un coup droit ou d’un revers.
© Julien Crosnier / FFT
Stéphane Robert à Roland-Garros en 2018.
1) Faire le point… après chaque point
Un match de tennis est constitué de dizaines, voire de centaines de points qui sont autant d’ascenseurs émotionnels après lesquels il est indispensable de se "jauger" mentalement, comme un marin inspecte la coque de son bateau avant de repartir à l’abordage.
"Après chaque point, il faut essayer de comprendre les émotions et les pensées que ce point a provoqué en nous, afin de modifier son état interne si besoin, confirme celui qui est devenu coach à la fin de sa carrière. C’est difficile, il faut arriver à se détacher de tout jugement pour rester parfaitement lucide. Mais c’est indispensable car avoir des pensées négatives a un impact sur la posture, donc sur le jeu : on va chercher la balle un peu moins haut au service, mettre un peu moins d’énergie à la frappe… Bref ça dérègle un peu tout. Il faut être dans un état de vigilance permanent, y compris dans les moments d’euphorie qui peuvent aussi représenter un danger."
L’inspection des lieux sera d’autant plus approfondie lors des changements de côté, où le temps passé à cogiter est rallongé. Au-delà de la routine d’alimentation et d’hydratation, c’est un moment privilégié que vous passez en tête-à-tête avec vous-même. Autant, donc, le faire en bonne compagnie, si l’on peut dire. Relaxation, visualisation, "self-talking" à la Ugo Humbert… A chacun de trouver la technique qui lui correspond le mieux pour se ressourcer et se rebooster.
© Nicolas Gouhier / FFT
Comme Ugo Humbert, profitez de l'entre deux-points pour vous encourager...
2) Accepter les pensées qui viennent à soi
Dans un monde idéal, entre les points (et même pendant…), le mieux serait de n’avoir aucune pensée autre que celle focalisées sur son tennis et sur son corps. De jouer, en quelque sorte, en mode instinctif, hermétique à toute forme de conscientisation. Mais c’est impossible, du moins sur la durée. Quand le doute surgit, le risque est d’autant plus grand de voir son esprit s’égarer vers des éléments négatifs parfois très éloignés du jeu : sa déclaration d’impôts, des problèmes familiaux, un élément perturbateur dans le public, une réunion pénible prévue le soir…
"Même si on peut le toucher par moments, il est impossible d’être dans un état de méditation pure pendant tout un match : il faut juste l’accepter, confirme le vainqueur du tournoi de Johannesburg en 2010. Par contre, il faut arriver à différencier ces pensées négatives – ou positives, d’ailleurs – de la réalité. Et faire le ménage dans cette fiction. A partir du moment où il y a de l’émotion, où l’on sent son état interne changer, il y a danger. C’est là qu’il faut savoir se remettre en état de marche."
Pas de culpabilisation, donc, si la boîte à pensées s’ouvre au fil du match et de l’évolution du score : c’est le cas même chez les meilleurs.
© Andre Fereira / FFT
A l'image de Ben Shelton, acceptez les pensées négatives et faites le ménage pour vous remettre dans le droit chemin, après un point perdu notamment.
3) Se connaître pour mieux dompter ses pensées
S’il est impossible de chasser ses pensées, on peut en revanche les apprivoiser pour mieux les endormir, voir les chasser. Là encore, à chacun de trouver sa technique.
"Sur le terrain, on arrive avec toute son histoire : il faut la connaître pour trouver ce dont on a besoin, explique celui qui avait remporté une inoubliable victoire contre Tomas Berdych à Roland-Garros en 2011. Certains joueurs vont avoir besoin d’être plus énergiques, d’autres de se calmer. A chacun de trouver la bonne recette pour être le plus performant possible sur le point suivant. Cela peut être de penser à quelqu’un, visualiser un paysage ou pourquoi pas s’évader en pensant complètement à autre chose, un champion d’un autre sport, un acteur dans un film... Ce que l’on veut. La difficulté, c’est de savoir de quoi on a besoin, et de trouver l’outil approprié."
D’autant que les besoins, et donc les outils, peuvent varier au fil du match. Au fur et à mesure de vos expérimentations, vous finirez par trouver ceux qui vous correspondent.
4) Respirer pour mieux se calmer
A la base de toute technique de relaxation ou de visualisation qui sera propre à chacun, il y a la respiration, laquelle est en revanche commune à tous. C’est donc capital : durant les temps morts, il faut prendre le temps de respirer, lentement et correctement.
"A mes débuts, j’étais un joueur très nerveux et j’ai senti que mon évolution passait par là : trouver du calme entre les points, raconte le huitième de finaliste de l’Open d’Australie 2014. Pour y parvenir, j’ai énormément travaillé sur la respiration. J’étais tout le temps en respiration diaphragmatique, pulmonaire et je n’avais pas accès à tout l’énergie dont j’avais besoin à la frappe. Le travail a été de me concentrer sur mon ventre. Entre chaque point, chaque jeu, je me revois en train de me concentrer sur ma respiration ventrale. C’est comme cela que j’arrivais à trouver du calme profond."
Le simple fait, d’ailleurs, de se concentrer sur sa respiration est en soi un élément de routine entre les points, qui peut vous aider à maintenir votre esprit dans le présent.
5) Trouver ses propres routines
Les routines, parlons-en… C’est une technique classique sinon indispensable pour maîtriser son cerveau entre les points. Quand Rafael Nadal remet(tait) ses bouteilles au millimètre au changement de côté ou que Novak Djokovic cligne des yeux avant de relancer, par exemple, ça n’est pas simplement un "tic" ou une superstition. C’est une routine.
"Si de nombreux champions ont des routines entre les points, c’est parce qu’elles leur évitent de cogiter, confirme ainsi le natif de Montargis. Le fait d’être dans l’action, de faire quelque chose de concret va en effet limiter les pensées. Cela permet tout simplement d’éviter à l’esprit de vagabonder en se concentrant sur autre chose. Quand ils font ça, au moins, ils sont dans le présent."
Là encore, à chacun de faire ses expériences pour trouver la routine qui lui convient.
© Julien Crosnier / FFT
Coco Gauff est une joueuse expressive entre les points. Et vous ?
6) Mettre tous ses sens en éveil
Comme on le disait plus haut, l’idéal durant un match de tennis serait de jouer en "mode animalier", tous sens à l’affût et sans autre forme de conscience. Mais les êtres humains que nous sommes ont cette chance, et cette malchance à la fois, d’être dotés d’une mécanique de pensées capricieuse qui peut créer des interférences dans le cerveau, donc dans le geste. Pour réveiller l’animal en soi, une technique couramment utilisée consiste justement à se focaliser sur un (ou plusieurs) de ses sens.
"Par exemple, on voit souvent des joueurs, lors des changements de côté, avoir les yeux rivés sur un point fixe, tout en respirant profondément, nous éclaire encore celui qui a joué son dernier match professionnel lors du Challenger de Turin contre Arthur Fils en 2022. Le fait de solliciter le visuel peut aider à trouver du calme et de la concentration. Une fois que cet apaisement est trouvé, on peut alors aller chercher ce dont on a besoin pour la suite."
© Cédric Lecocq / FFT
La technique de la serviette sur la tête au changement de côté, une routine que l'on voit souvent et qui aide sans doute à retrouver calme et concentration...
7) Ne pas passer au point suivant sous le coup de l’émotion
Ce qui nous amène à une dernière règle à suivre entre les points : de la même manière qu’il vaut mieux, dans la vie, ne jamais parler à chaud ou prendre une décision sous le coup de l’émotion, mieux vaut, sur un terrain, ne pas se plonger dans le point suivant sans avoir "digéré" le point précédent.
"Il va falloir s’activer ou se calmer selon le cas, mais tant que l’on n’a pas retrouvé le bon état mental, celui dans lequel on se sait le plus performant, c’est compliqué de penser à la suite, synthétise Stéphane Robert. S’il y a de la frustration, il faut au moins trouver le moyen de l’évacuer. Personnellement, il m’arrivait de crier. On voit parfois des joueurs casser une raquette, même si ce n’est pas le plus intelligent ni le plus économique. Quoi qu’il en soit, la plus grande erreur entre les points, finalement, serait de ne pas s’écouter et de ne pas observer son état mental."
Une fois celui-ci analysé et canalisé, on peut alors penser à la bonne stratégie pour le prochain point. Tout ceci en quelques secondes. Mais quelques secondes qui, bien gérées, peuvent changer la face d’un match.