Cédric Lecocq fait partie de l'équipe des photographes de la FFT qui couvre Roland-Garros. Il évoque ici ses plus belles "plaques", ses joueurs préférés, sa passion pour la photo et l'ambiance qui règne dans son équipe.
Comment as-tu commencé la photo ?
J'en fais depuis toujours. Depuis que j'ai six ans en fait et que j'ai piqué le boîtier de mon père. Quand j'étais gamin, j'avais un copain à côté duquel j'étais tout le temps assis. Il s'appelait Lepch et moi Lecocq donc par ordre alphabétique, du CP au lycée, on était à côté. Son père avait un labo photo et je passais tous les mercredis chez lui.
À 11 ans, on a eu un super prof qui avait un labo puis mon père m'en a construit un. Je développais mes films moi-même et j'ai commencé à m'équiper. À 15 ans, je ne faisais pas de photos professionnelles mais j'avais déjà du matos semi-pro. Très vite, j'ai aimé capter les interactions entre les gens. J'aime quand c'est vivant : les animaux, les enfants, le sport... Tout ce qui est imprévisible en fait. J'aime capter la vie.
Comment as-tu débuté la photo professionnelle ?
Je suis rentré stagiaire au journal Le Parisien, au service sport, donc j'ai commencé très vite le tennis, juste après le foot. Assez rapidement, j'ai contacté la FFT car Roland-Garros était un évènement parisien exceptionnel, je ne voyais rien de mieux en fait. J'ai proposé une idée pour me faire accréditer - faire une photo lorsque le joueur signe une plaque de plexiglas sur mon appareil - juste après celle de la caméra. La FFT a trouvé l'idée excellente, ils avaient alors un partenariat avec une marque de stylo. J'ai commencé mes photos comme ça, en me collant au caméraman pour avoir ses signatures de fin de match. J'ai des photos de Nadal et Federer... J'ai encore les plexis que j'ai retrouvé dans un vieux carton ! Un jour, je les donnerai aux joueurs.
Le partenariat avec la marque de stylo a été perdu mais j'ai réussi à avoir une 'accred' pour la presse. Dès que je pouvais, j'allais à "Roland". Pour l'anecdote, mon dernier reportage au Parisien, c'était à Roland-Garros, au mois de mars 2013. Je photographiais le stade hors tournoi. J'avais carte blanche et en plein hiver, je photographiais les coulisses.
J'ai alors eu la chance, après avoir fait du tennis pour la presse, de rentrer à la FFT en 2014 et de faire des photos pour l'organisateur. C'était la révélation : je suis tombé sur des photographes exceptionnels. Mes photos étaient alors formatées presse, il fallait la tête du joueur, la balle, la raquette, serrer le plus possible. Dans les agences, on demande toujours la même image. Ici, on travaille avec des lumières folles et j'ai redécouvert la photo de tennis. Aujourd'hui, 10 ans après - enfin -, je ne suis plus formaté presse : je laisse de l'ambiance, de l'air, de la lumière. J'ai l'impression de faire de plus jolies photos.
II n'y a que de supers photographes dans l'équipe FFT. L'un d'entre eux, Loïc, a dit : "au contact des grands, on devient un grand". C'est complètement ce que je pense. Depuis 10 ans, j'ai croisé des photographes qui sont devenus des immenses sources d'inspirations. Et Roland-Garros est l'endroit parfait pour laisser cette inspiration s'exprimer.
Comment se passe une journée au service photo pendant le tournoi ?
L'idée, c'est de se répartir les courts entre la dizaine de photographes. Puis, on est en mission. Tu es responsable de ton court ou de tes courts, car tu peux en avoir plusieurs. Tu suis les scores pour ne pas rater les moments importants du match. L'exercice est périlleux : parfois, tu aimerais faire le début d'un match mais en fait c'est la fin de l'autre. Il y a des choix à faire. Il faut organiser son temps.
Et ne pas arriver avec 1000 photos d'une dizaine de matchs à la fin de la journée. Car c'est ça qui est vraiment important : la relation avec les éditeurs qui vont gérer nos photos. On forme un vrai duo. Ils font un boulot dingue pour tout trier et nous faire quelques retours. Ils voient les images sur grand écran. Nous, en plein soleil, on ne voit pas la colorimétrie, le cadrage... En plus de gérer les photos, ils gèrent les photographes ! Pour que les éditeurs s'amusent, on change les duos régulièrement.
© FFT / Johan Sonnet
Avec Olivier, éditeur pendant le tournoi de Roland-Garros.
Sur les courts, nous, les photographes, on fait un premier tri des photos. J'excelle là-dedans ! Non en vrai, j'ai du mal à le faire (rires). Bon je n'en donne plus qu'une centaine maintenant. Je tague et je supprime tout le reste. Ça fait gagner du temps aux éditeurs. À la fin du premier set, j'ai déjà pris les deux joueurs en coup droit, en revers, une position basse, à leur niveau, et une position peu haute avec un fond de terre battue. Mais il ne faut pas voir de pieds, d'autres choses qui vont détourner le regard. Plus une réaction, un poing serré. On donne notre carte à l'éditeur qui récupère tout et refait une sélection. Ils gardent 5 ou 10 photos max.
Et leur travail est de tout archiver en temps réel : ils légendent le noms des joueurs, la date, si c'est une joie, une attitude, un poing serré... Ils ne retouchent rien mais ils décrivent et mettent beaucoup de mots clés. Dans l'heure, cette photo est disponible pour toute la FFT.
Leur présence est indispensable car cela permet de pouvoir retrouver l'image si on la cherche. Il ne faut pas qu'elle se perde dans la masse. Grâce à eux, elle est archivée pour l'éternité. Ils font un super boulot de tri, ils ont une vision d'ensemble. Ils gardent un dossier de photos non choisies pour être sûrs, mais ils ne reviennent quasiment jamais dessus. On met aussi quelques photos sur un serveur ftp, où les réseaux sociaux notamment peuvent piocher très rapidement.
Quels sont tes endroits préférés à photographier ?
J'ai toujours trouvé le Philippe-Chatrier extraordinaire. C'est mon court préféré aujourd'hui même s'ils sont tous géniaux, notamment le Simonne-Mathieu. En fait, chaque court devient intéressant quand l'ombre coupe le court et qu'il y a des jeux de lumières. Le Philippe-Chatrier est particulier, car c'est un énorme stade uniquement consacré au tennis et c'est rare. La première fois que tu rentres sur le Central... Tu ressens quelque chose, comme quand tu rentres dans un immense stade de foot.
Ce qui est génial ici, c'est que les lumières ne tombent pas au même moment. En deux heures, l'ombre traverse Roland-Garros et tombe partout selon la hauteur des courts. Quand l'ombre entre en piste, c'est là qu'on s'amuse le plus. J'ai appris à ne pas la couper. Avant, je ne faisais jamais attention à la luminosité. Maintenant, je joue tout le temps avec ça.
Sinon je vais faire un peu de nostalgie, j'adorais le court 1. Il a fallu le détruire pour l'organisation du tournoi, mais ce court en arène, avec cette double fosse et la coursive en haut, c'était fantastique.
Quels sont tes joueurs préférés à photographier ?
J'aime photographier tout le monde, donc c'est dur à dire. Allez, Nadal ! C'est vrai qu'il était juste dingue : la façon dont il frappe sa balle, l'intensité qui se dévoile à travers l'image, le bras qui explose, qui passe derrière la tête. Je n'ai pas de joueurs préférés. Mais en fait, comme par hasard, ceux que je trouve les plus photogéniques, ce sont les meilleurs : Federer, Nadal, Djokovic. Djoko, par exemple, il prend des positions tellement bizarres, c'est génial. Même sans belles lumières, ça fait de jolies photos, car il se disloque complètement. Mais il faut que ces joueurs soient poussés dans leurs retranchements pour avoir ça, quand ça monte en intensité dans des matchs couperets. Il y a des coups fous mais ça arrive deux ou trois fois dans le tournoi.
Chez les filles, j'aime bien ce qui est aérien, gracieux, les fins de gestes sur la pointe des pieds, la jupe qui finit de se rabattre. Ces photos sont difficiles à capter car on est souvent trop avant ou trop après. Je photographie le tennis féminin autrement. Avant je faisais beaucoup d'actions, maintenant, plus des attitudes. Mais même chez les garçons, les fins de gestes sont souvent plus esthétiques.
D'une manière générale, la façon de prendre des photos a-t-elle changé depuis quelques années ?
Avec le téléphone et le numérique, on fait maintenant des photos partout, on casse les codes de l'image, je trouve ça génial. Je me suis toujours inspiré de plein de gens, des peintres, des sculpteurs pour les mouvements et les gestes. Pour trouver de l'inspiration, je vais souvent dans les musées. J'adore Léonard de Vinci par exemple, son travail sur les détails, les mains, les attitudes.
Tu travailles pour d'autres événements liés au tennis ?
La chance d'être à la FFT c'est d'avoir accès à toute la vie fédérale. En 10 ans, j'ai travaillé pour des championnats de France, Bercy (le Rolex Paris Masters), des événements internes. Désormais, le stade vit presque toute l'année. Et j'aime tout faire, car comme d'hab, j'aime photographier les gens. N'importe quoi : des réunions, des conseils d'administrations. Puis le cadre est génial : je vais pas bosser dans un bureau lambda mais à "Roland". C'est 10 000 fois mieux. J'adore voir le stade vivre hors tournoi, notamment pendant les championnats de France. Les joueurs sont comme nous, ils sont comme des fous.
Puis il y a des photos ailleurs, dans d'autres clubs, les autres activités, padel, beach tennis, pickelball, Urban. C'est marrant, parce que je bosse pour un magazine auto, et dès qu'ils voient un morceau de bitume, un pot d'échappement, ça leur donne une idée. Ici, c'est pareil, dès qu'il y une ligne, un filet, un arrosage, une raquette, ils veulent des images.
Bon, avec tout ça, tu dois être un formidable joueur de tennis...
J'ai joué jusqu'à mes 15 ans ! J'ai arrêté à cause de blessures aux chevilles. Mais pour l'anecdote, j'ai été entrainé par Florent Mannarino, père d'Adrian. Ce sont de supers souvenirs. Depuis, j'ai repris avec mes enfants. Je suis licencié au CSM Eaubonne. Je ne joue que contre des enfants. Mais même contre eux, je crois que je n'ai pas le niveau !
Ses photos préférées
© FFT / Cédric Lecocq
Cette photo est iconique - à mon niveau bien sûr - parce que, pour la première fois, c'est moi qui ai eu la bonne position de photo de victoire. Chaque photographe a des positions attitrées. Là, c'est moi qui avait la bonne et ma photo avait été retenue. Je pense qu'on peut parler de fierté.
© FFT / Cédric Lecocq
J'ai choisi celle-ci car aucun photographe ne peut avoir cette position à part nous. Je suis positionné sous l'horloge Rolex et uniquement le personnel de la FFT y est toléré. Je venais d'avoir mon nouveau boîtier hybride : on pose l'appareil par terre et on peut regarder sur l'écran ce qu'on peut avoir comme photo. C'est un risque de se mettre à cet endroit pour capter la joie de la victoire mais je savais que son clan était derrière moi, et quand Diane gagne, elle se retourne vers eux. Pour l'anecdote, c'est cette photo qui m'a fait ouvrir mon compte Insta.
© Cette photo, c'est sur un petit court, le 7, que j'adore. J'ai réussi à avoir la balle dans la raquette de la joueuse. Je suis fan de tennis-fauteuil. Les traces de roue sur la terre, c'est hyper graphique. Je me suis éclaté sur cette journée et j'ai fini par avoir cette photo, la balle dans l'axe. C'est un super souvenir.
Ses coups de cœur
© FFT / Cédric Lecocq
Nicolas Gouhier avait fait cette photo incroyable de Tsitsipas pendant la période du Covid. Lumière de septembre, donc photos dingues. L'ambiance était très spéciale. On avait du noir dans des zones différentes, ça faisait des contrejours magnifiques. Nico est le premier à avoir réussi ce genre de photo et après nous l'avons tous copié. Il y a un peu de nostalgie en regardant ce cliché car ce sont des lumières que l'on ne retrouvera plus jamais. Mais elles resteront archivées pour l'éternité.
© FFT / Corinne Dubreuil
Je n'ai pas de mots pour décrire les photos de Corinne Dubreuil tellement c'est fort. Je suis hyper fan. C'est une femme dans un milieu d'hommes et elle s'est fait respecter par la qualité de son travail. C'est elle qui m'a inspiré, qui m'a appris à bosser, qui m'a le plus accompagné en me donnant des conseils. Elle connaît le monde du tennis par cœur, elle sait où être, à quelle heure pour avoir telle joie, telle lumière... Très propre, rien à jeter, des détails fabuleux. C'est toujours bien senti. Tout le monde du tennis la connaît, elle fait "partie des murs" et donc elle a des émotions en coulisses qu'on ne peut pas avoir. Comme sur cette photo.
© FFT / Pauline Ballet
Pauline Ballet est une magnifique photographe, avec une sensibilité de dingue pour l'âge qu'elle a. Je commence tout juste à ressentir le tennis, alors qu'elle, dès sa sortie de l'école, elle intégrait toutes les émotions. Sur tous les sports, elle capte quelque chose que les autres ne voient pas. C'est une grande source d'inspiration. Son travail est hyper agréable à regarder. Les gens qui n'aiment pas le sport trouvent son travail magique, ça veut tout dire. Elle trouve des ombres, des détails... Cette photo de Coco Gauff en est une bonne illustration. Je ne sais pas si c'est son œil féminin mais elle capte des choses différentes. Et quand j'essaye de faire la même chose, j'ai l'impression de ne réussir qu'une pâle copie de son travail.