A la rencontre d'un arbitre français officiant sur Roland-Garros : Renaud Lichtenstein.
Il compte autant de participations parisiennes que la joueuse et recordwoman en la matière Venus Williams. Comme juge de ligne ou arbitre, Renaud Lichtenstein en est en effet à son 21e Roland-Garros. Certifié badge d'or, le Français de 37 ans fait déjà partie de l’échelon suprême de l'arbitrage en tennis. Il nous raconte sa vocation et comment il vit "son Roland-Garros".
Naissance d'une vocation
"J’ai beaucoup joué quand j’étais gamin, j'ai été classé 4/6 quand j’avais 20 ans. Mes parents s’occupaient du Tennis Club de Valence-le-Haut dans la Drôme et mon père était le juge arbitre du tournoi. Souvent, les gens ne veulent pas forcement monter sur la chaise d’arbitre, c’est un peu ingrat. Mais moi, je me suis pris au jeu au fur et à mesure. J'ai commencé dans le département, la région... Puis je suis devenu arbitre national, c’est désormais mon métier. En 2005, j’ai eu ma première qualification internationale."
"En France, nous avons cette chance d’avoir une fédération forte qui nous aide, nous pousse. Il y a des échanges qui nous permettent d'aller sur les Grands chelems et d’engranger beaucoup d’expérience. Nous sommes une fédération forte en termes d’arbitrage. Un jour, on se rend compte que l'on fait ça 300 jours dans l’année. Mais ce n'est pas un problème : il n’y a pas un jour où je n’ai pas envie de voir du tennis."
"Chez les arbitres, il y a quatre qualifications: badge blanc, bronze, argent, or. Les deux premiers niveaux sont des écoles en anglais, avec théorie et pratique. Argent et or sont des promotions. On est évalué par un officiel qui est plus haut. Et en fin d’année, les mieux notés sont promus. Maintenant, je suis badge d’or. Nous sommes six Français badges d’or. Nous sommes la nation la plus représentée, il y en a 28 dans le monde. Avant d’être badge d'argent et d’or, on peut faire les premiers tours en tant qu’arbitre de chaise et les derniers tours comme juge de ligne. Nous voyageons toute l’année, nous suivons le Tour et les Grands chelems."
Roland-Garros, point d'orgue de la saison
"C’est mon 21e Roland-Garros ! J'ai commencé l'arbitrage en 1996. J’étais alors le plus jeune juge de ligne, j'avais 15 ans et demi... Avec les études, j’en ai raté deux [éditions]. Ce tournoi est spécial parce qu’on est des officiels français et que l'on attend cet événement tous les ans. On est chez nous, je connais le stade par cœur. On connaît tous les gens de l’organisation, les marqueurs, les ramasseurs. "Roland", c’est un peu notre Graal, l'endroit où l'on a envie de faire les plus gros matchs."
"Travailler sur terre battue est un peu particulier, la pression est différente. Il y a la trace et il faut descendre de la chaise en cas de litiges. On se retrouve alors face à face, physiquement, à la même hauteur que les joueurs. Sur dur, il y a toujours cette chaise qui nous place plus haut qu’eux. Mais en tant que Français, on a grandi sur terre et on a davantage l’habitude. Ma formation est passée par l'ocre. En tant que Français, nous sommes peut-être mis un peu plus en avant sur les grands courts. Nous sommes considérés comme la nation majeure de l’arbitrage. Il faut prouver année après année que, si nous sommes aussi haut en termes de qualifications, c’est parce qu’on travaille bien."
Rituels à "Roland"
"Nous recevons notre désignation la veille. Nous faisons entre une et deux rencontres par jour. Aujourd’hui (lundi), je savais que j'arbitrais le troisième match sur le Lenglen. Après, chacun organise sa journée. De mon côté, je suis arrivé à 11h30, le temps de me changer, de me mettre en condition... Après on suit le score, on déjeune. Quand le match se rapproche, on se met dans notre bulle. Personnellement, j’aime bien me mettre à part, en allant très tôt sur le court. Et je suis tout seul. Je commence ma concentration, ma routine. Certains sont superstitieux... Moi je fais toujours les mêmes choses tous les jours et je dois les faire dans l’ordre ! Cela me permet de construire ma concentration. Le stress existe avant chaque match car nos responsabilités sont importantes. Le jour où l'on rentre sur le terrain sans pression, c’est la routine qui s‘installe et c'est un problème. J'ai besoin de me dire que si l'on me donne cette confiance, c’est pour performer au maximum."
"Depuis cette année, les arbitres sont sous les courts 7 et 9. Notre espace est peut-être 10 fois plus grand. Avant, quand il pleuvait, nous étions les uns sur les autres. Maintenant, il y a de la place, avec des vestiaires, on n'est pas obligé de traverser le stade si l'on oublie quelque chose. Ça change la vie."
L'heure du match !
"C’est la concentration pure et dure. Il faut arriver à trouver des trucs perso pour se dire : "Je me remets dedans, je remets ma routine dans l’ordre". Il faut construire une confiance avec les joueurs du premier au dernier point. Nous sommes là pour les aider à ce qu’ils ne pensent plus qu’au tennis. Nous gérons le public, les ramasseurs, les annonces... Le plus dur, c’est un match messieurs qui dure 5h. Cette année, j’ai arbitré Damir Dzumhur contre Alexander Zverev, qui a duré plus de 4 heures. A tous les changements de côté, il faut rester concentré. Il y a la fatigue, la faim... Mais pour moi, le plus dur, c’est le froid, car on reste statique sur notre chaise. Quand je commence à craquer, je me parle, je me dis : "T’es en train de lâcher. Allez, remets toi dedans".
En compétition, la langue officielle est l’anglais. La maîtrise de cette langue est importante. En match, on est dans la gestion de crise, il faut prendre des décisions dans l’instant. Si l'on n'est pas sûr des mots à employer, on se pénalise."
Mon "best-of"
"Avant d'être arbitre de chaise, j’ai fait une longue carrière en tant que juge de ligne. J'ai participé à toutes les finales de Grand chelem, sauf la finale masculine de Wimbledon. Je garde un excellent souvenir des finales de Jeux Olympiques, notamment quand Andy Murray gagne à Londres. Vu que j'officiais comme juge de ligne, je n’étais pas en charge du match. Mais on le vit de l’intérieur et l’atmosphère est géniale. L'an passé, j’ai fait la finale dames de Roland-Garros sur la chaise. C’est aussi un moment particulier, une finale... La préparation est différente, il y a des protocoles qui viennent s'ajouter. Il faut s’adapter, mais ce sont ces matchs qui font que l'on adore ce boulot. Le Graal reste la finale messieurs. Mais il ne faut pas sauter les étapes. Pour arbitrer la finale dames, j’ai fait les quarts de finale, la demi-finale. Il faut avancer pas à pas."