Après un accident il y a moins de deux ans, Ksénia Chasteau s’est lancée dans le tennis-fauteuil. La joueuse du TC la Fourragère est déjà championne de France juniors, mais elle compte bien ne pas s’arrêter là.
Ksénia, vous êtes championne de France juniors et un des plus grands espoirs français de la discipline. Comment avez-vous découvert le tennis-fauteuil ?
J’ai eu un accident de moto il y a un an et demi avec mon père. Nous avons perdu tous les deux notre jambe gauche. Je suis amputée tibiale, l’amputation la moins "dure".
Je pratiquais le tennis avant mon accident, j’étais classée 15/3. Je pense que je valais mieux mais j’ai commencé la compétition tard. J’ai une bonne condition physique depuis que je suis toute petite, je pratiquais plutôt bien plusieurs sports mais j’ai surtout joué au tennis toute mon enfance.
Dès l’accident, j’ai voulu m’intéresser au tennis-fauteuil. Du coup, j’ai fait une année de rééducation et la FFT m’a rapidement contacté. Au départ j’ai eu peur que ça ne me plaise pas. Pour moi, le tennis valide était une passion, une sensation physique. Et en septembre 2021, j’ai tapé pour la première fois la balle sur un fauteuil et sur un terrain. J’avais déjà essayé un peu au centre de rééducation, jamais sur un terrain.
Et c’était… incroyable ! Les sensations de tennis sont quasi similaires à part le déplacement mais j’ai vite accepté cette différence. Avec mes capacités physiques, j’ai rapidement progressé. Après tout, je ne joue que depuis 9 mois. Ma base tennistique est bien présente, les gens qui me voient jouer remarquent que je jouais déjà avant.
Vous qui avez bien connu le tennis valide, quelles sont les différences avec le tennis-fauteuil ?
Le fauteuil bloque la gestuelle. En para, il faut passer « moins derrière ». Sur les photos, dans mes premiers tournois, on voit que j’ai le bras tendu derrière. J’ai évolué, j’ai changé de technique, mais la sensation de frappe et de l’accélération de la balle reste la même.
© FFT / Christophe Guibbaud
Au début, je me disais que le tennis-fauteuil, ce serait de la poussette, un peu ennuyeux. Mais pas du tout et le corps humain s’adapte complètement à ce style.
Il y a aussi le changement de mon revers. J’avais un revers à deux mains, je l’adorais, c’était mon coup préféré, j’ai dû me mettre au revers inversé. C’est le choix logique, je l’ai adopté très vite.
On imagine qu’il faut aussi beaucoup travailler le haut du corps…
Ah ça oui, je n’ai jamais eu un haut du corps aussi musclé ! Quand on regarde les très jeunes en tennis valide, ce sont des "baguettes", ils sont tous fins. Moi j’avais de grosses cuisses, que j’ai perdu depuis mon accident. Mais les bras, la largeur du dos, les épaules, les biceps, les triceps… tout a changé et je ressemble presque à une nageuse !
Au début, j’ai eu plein de petites blessures car le corps ne connaît pas ces mouvements mais je récupère vite. On est beaucoup moins essoufflé en tennis-fauteuil, et je transpire beaucoup moins aussi. Dans le cadre de la prépa physique, je m’entraîne aussi beaucoup à la piscine, pour bien travailler le cardio.
Portez-vous une prothèse ?
Oui, j’ai une prothèse, et je remarche depuis peu. J’essaie de marcher tous les jours. J’ai décidé de rester physiquement à l’école, pour mon équilibre mental et social et voir mes amis. Le fauteuil met une barrière, en termes de socialisation, je préférais être en posture debout.
Justement, l’école ! Comment faites-vous pour concilier un projet de haut niveau et la suite de vos études ?
Je suis en première en filière "social et santé". Avant j’étais dans une école privée d’un bon niveau à Marseille mais qui ne proposait aucun aménagement. Et j’ai trouvé, juste à côté du club, un lycée avec des aménagements. C’est une classe classique, mais avec trois sportifs dans la classe qui bénéficient de plages horaires sportives.
On part plus tôt ou on arrive plus tard pour s’entraîner. Je ne suis pas au CNED, j’ai fait le choix de rester physiquement à l’école. Quand on a un projet sportif ambitieux, ça ne va pas de soi. Autour de moi, personne ne fait ça. J’ai intégré récemment la Team Jeunes Talents BNP Paribas, et tout le monde était au CNED !
Mais j’ai la chance d’avoir une proximité géographique entre l’école et les terrains. Je fais des entraînements de deux heures, donc souvent à 17h, j’ai fini l’école et l'entraînement. C’est confortable pour ma vie sociale et bien travailler.
Au quotidien, comment se déroulent vos entraînements ?
J’ai deux coachs. Le principal, c’est l’entraîneur de la ligue qui se déplace dans mon club. C’est Gabriel Tassaro, le fils d’Hervé Tassaro, l’entraîneur de l’équipe de France dames. Je suis aussi entraînée par l’entraîneur du club, Kevin Pesson. Il n’y a pas longtemps, j’ai pris contact avec un prépa physique pour développer cet aspect.
Comment voyez-vous la suite, à plus ou moins long terme ?
J’ai commencé par les tournois français, je crois que je les ai tous gagnés puis j’ai gagné les championnats de France juniors. J’ai déjà fait 4 tournois internationaux chez les dames. Je vais continuer les juniors pour gagner des points. Il y a l’US Open qui a ouvert un tableau juniors : c’est un objectif à moyen terme pour l’été prochain, ce serait une expérience de dingue. J’ai fait un ITF 3 à Orléans en novembre dernier. Les ITF Futures sont vraiment à ma portée, j’ai failli en gagner un déjà.
En février prochain, je vais aller à Bolton pour un ITF 3 et un ITF 2. Je suis dans une fréquence d’un tournoi par mois par rapport à l’école. Les entraînements sont organisés, mais les tournois aussi. C’est un déplacement par mois et on peut déborder uniquement en cas de vacances scolaires. Ce sera le cas pour Bolton.
En ITF 3 à Orléans, j’ai perdu au premier tour face à une Colombienne 11e mondiale, je n’avais pas encore les armes clairement. Mais j’ai gagné la consolante face à une Top 30, c’était une super victoire. Ces filles-là ne jouent pas forcément mieux que moi mais elles ont de l’expérience et savent mener un match.
Il y a bien sûr encore beaucoup de travail mais j’apprends vite. J’ai 16 ans, j’ai envie de me faire plaisir. J’avais pour rêve d’enfant de faire carrière dans le tennis. Je savais que ça allait être compliqué car il y a énormément de concurrence. Maintenant, et même si je veux vivre au jour le jour, ce rêve devient une réalité. J’espère faire une carrière "pro" et gagner les plus grands titres.
Quand je ferme les yeux et que je rêve, je me vois gagner à Roland-Garros. Les Grand Chelem, les Jeux paralympiques, la place de n°1… Je me suis déjà vu gagner tous les Grand Chelem avec l’ambiance qui va avec. On ne sait pas de quoi demain sera fait : je vais peut-être me blesser, il y a plein de facteurs X.
Mais je suis très motivée, je veux me faire plaisir au quotidien. Et puis les Jeux forcément... Je m’en sens capable. Je peux me projeter en 2024 et 2028, voire même après.