A une époque où le tennis moderne semble imposer une taille toujours plus élevée, les "petits" n’ont pas la partie facile. Mais il y a toujours une place pour eux (elles) sur le circuit (et pour vous dans les tournois amateurs). Témoignage avec Evan Furness, 280e mondial.
Toujours plus grand, plus fort, plus vite... C’est un peu la manière dont le tennis semble inéluctablement évoluer, avec l’avènement d’une génération de géants ultra-mobiles – deux spécificités qu’on a longtemps cru antinomiques – dont Daniil Medvedev (1,98 m) est la parfaite incarnation.Dans ces conditions, les "petits" ont tendance à se faire encore plus "petit", surtout chez les hommes.Depuis Gaston Gaudio (1,75 m) à Roland-Garros 2004, plus aucun joueur de moins d’1,83 m n’a remporté de tournoi du Grand Chelem. Corrélée avec l’agrandissement de l’espèce humaine, cette tendance peut faire oublier la nature même du tennis, un sport qui, parce qu’il nécessite de jouer aussi souvent des coups au-dessus de la tête qu’à ras du sol, donne sa chance à tous les gabarits et tous les styles.Comme le talent n’est pas proportionnel à la taille, être petit et jouer à très haut niveau n’est donc pas incompatible, ainsi que le prouvent l’Argentin Diego Schwartzman (1,68 m) ou, plus loin dans la hiérarchie, le Japonais Yuta Shimizu, le plus petit joueur classé à l’ATP (1,63 m).En France, où on a souvent eu des joueurs petits par la taille mais grands par le talent (Grosjean, Clément, Santoro, Delaitre ou encore Moutet et Gaston aujourd’hui). Evan Furness, à peine 1,70 m sous la toise et classé 280è mondial, est un autre exemple. Il nous livre ici ses conseils pour s'en sortir quand on est un joueur de taille "modeste".
© FFT / Nicolas Gouhier
Demi-finaliste en 2020 à Roland-Garros, Diego Schwartzman montre qu'il est possible de rivaliser avec les joueurs de grande taille au plus haut niveau.
Ne vous prenez pas (trop) la tête avec ça
"A une époque, notamment quand je me suis lancé sur le circuit juniors, je me posais beaucoup de questions sur ma taille", nous explique celui qui avait eu trois balles de match face à Jenson Brooksby au dernier tour des qualifications de Roland-Garros. C’est parti une fois que j’ai pris conscience des mes propres qualités. A partir de là, je me suis concentré là-dessus plutôt que sur celles que je n’ai pas. Ce qui limite le plus un joueur petit, finalement, ce sont bien souvent les limites qu’il se met à lui-même."Plutôt que de céder à la fatalité, Evan a commencé à chercher la meilleure manière d’adapter son jeu à sa morphologie, notamment en regardant de nombreuses vidéos de joueurs "petits" de référence, comme David Ferrer ou Sébastien Grosjean.
© FFT / Philippe Montigny
Evan Furness est passé tout près du grand tableau de Roland-Garros cette année. Oubliés ses complexes de taille chez les juniors !
Pensez-y : être petit a ses avantages
Comme Evan a fini par le faire, positivez sur votre condition de "petit". Bien sûr, il n’y a que des avantages. Mais il y en a. "Là où je me sens favorisé, poursuit le natif de Pontivy, c’est que comme mon centre de gravité est bas, je garde plus facilement des appuis forts et donc le contrôle quand la balle adverse arrive vite. Garder cette qualité de balle même en contre, une capacité à frapper fort même quand je suis débordé, c’est je pense mon principal atout."L’autre avantage d’être petit se fera naturellement : cela vous poussera à développer un tennis complet, astucieux et varié, avec bien sûr un excellent retour de service. Sur le plan purement technique, il est probable que le fait d’être petit fasse de vous un meilleur joueur.
© FFT / Julien Crosnier
Centre gravité bas, un atout qui sert aussi Corentin Moutet !
Ne laissez pas le "grand" diriger l’échange
On a souvent à l’esprit que le "petit" est voué à évoluer dans un registre défensif. Au contraire : s’il doit être certes un excellent défenseur, il doit autant que possible diriger l’échange, pour empêcher le "grand" d’étaler sa puissance supérieure.C’est le sens du travail longtemps effectué par Evan avec son père, Mark, un ancien très bon joueur (classé négatif) d’origine anglaise, qui l’entraîne ponctuellement."Si vous jouez trop loin de votre ligne contre les grands, vous êtes cuit parce qu’il y aura toujours un moment où il frappera plus fort", abonde ainsi ce dernier. Il s’agit donc de tenir sa ligne le plus possible, comme le faisaient Rios ou Chang, pour se donner des angles. L’idée est aussi de développer un coup fort - le coup droit pour Evan - ou une grande variété de frappes, à l’image de Hugo Gaston qui prend la balle très tôt et joue beaucoup d’amorties. En procédant ainsi, il cherche à ce que le point dépende de lui avant tout."
L'amortie permet à Hugo Gaston de prendre le jeu à son compte au cours de l'échange.
Lapalissade : soyez extrêmement mobile
Pour peu qu’il soit bien réglé au service, un "grand" peut s’en sortir sur certains matches sans courir outre mesure. Le "petit", en revanche, devra aller au charbon tout le temps ou presque. Pour lui, un bon déplacement n’est pas une option. C’est obligatoire."Quand on petit, on est emmené à défendre plus, à faire souvent des petits sprints, détaille l’ancien finaliste du Championnat de France juniors, face à Corentin Moutet (en 2016). Il est évident que si on est capable de le faire pendant trois heures, on va être beaucoup plus dur à battre que si on fatigue au bout d’une heure et demie. Donc il faut absolument développer sa capacité à répéter des efforts intenses", poursuit le joueur, qui a lui-même énormément travaillé ses capacités naturelles de vélocité et d’endurance.
© FFT / Corinne Dubreuil
La mobilité est un des atouts du jeu de Hugo Gaston.
Le slice, une arme bien utile
Le slice est non seulement une arme défensive majeure, mais permet en outre de garder la balle très basse, ce qui mettra invariablement en difficulté un adversaire de grande taille. Evan, qui possède un revers à deux mains, possède un excellent slice à une main, ce qui, en plus de sa raquette rallongée d’1,5 cm, lui permet de gagner un peu en allonge.Cette arme, il l’a développée au fil des années en réalisant qu’elle avait un autre intérêt d’ordre tactique : "slicer oblige l’adversaire à relever la balle ce qui permet, quand on est petit, de pouvoir jouer beaucoup de balles à hauteur d’épaule. Sébastien Grosjean utilisait énormément ce schéma."
© FFT / Corinne Dubreuil
Quadruple reine de Roland-Garros, Justine Henin (1,66m) possédait un revers redoutable slicé.
Travaillez énormément le service !
Le fait d’être grand est un avantage essentiellement au service, qui est peut-être le coup le plus important du tennis moderne, d’autant qu’il permet d’être plus relax dans le reste de son jeu.Telle est la problématique principale du "petit", qui ne sera certes jamais le meilleur serveur, mais qui ne doit pourtant surtout pas occulter ce coup."C’est même le coup le plus important à travailler, conclut celui qui a remporté le Future de Manacor en début d’année en battant Holger Rune en finale. Simplement, il faut l’utiliser différemment. Ça ne sert à rien de frapper fort systématiquement car la marge d’erreur est beaucoup plus fine que pour un "grand". Il faut jouer davantage sur la surprise, la variété, les angles et la précision. A chaque match, l’un de mes objectifs prioritaires est d’atteindre un certain pourcentage de 1ères balles. Car si vous passez 80°% de 1ères, que ce soit à 160 km/h ou à 200, vous aurez beaucoup de chances de gagner le match."Et donc de devenir grand, au fil des victoires...(R.B.)
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Evan Furness soigne le pourcentage de premières balles et la variété sur son service.