Alors que se profile Roland-Garros, Lucas Pouille se livre dans cette interview où il partage son attachement à ses racines, au club de ses débuts, au tennis en général et à la Coupe Davis en particulier.
Le tennis est ce qu’il aime le plus au monde. Un sport qu’il a découvert à 7 ans, lorsqu’un club s’est construit à côté de chez lui, dans la banlieue de Dunkerque. Hasard ou destin? Lucas Pouille ne se pose pas ces questions. Il fonce. Depuis la finale de la Coupe Davis durant laquelle il a apporté à la France le point décisif, il s’est détaché du peloton. Vainqueur à Montpellier avant d’enchaîner deux finales à Marseille et à Dubaï, le Nordiste a un peu souffert au début de la saison sur terre battue. Mais il sera bien évidemment très attendu à Roland-Garros. Interview.Certains joueurs ne se souviennent pas de leur “première fois” dans un club de tennis car ils étaient trop petits… Et vous ?Je m’en souviens très bien, mais peut-être parce que j’étais plus grand! La première fois que je suis allé dans un club, c’est aussi la première fois que j’ai touché une raquette. Tout s’est passé le même jour. Un club venait juste d’être construit à côté de chez nous (le TC Loon-Plage, dans la ville du même nom, près de Dunkerque). C’était un quartier nouveau, où il y avait beaucoup d’enfants, et on était tous très demandeurs de sport. J’avais 7 ans et demi, ce qui est assez vieux pour commencer le tennis. C’était pendant l’été 2001.Comment ça s’est passé ? Vous y êtes allé de vous-même, par curiosité ?Non. Un jour, un ami de la famille nous a proposé, à moi et mes deux frères, d’aller nous initier au tennis. Dans la famille personne ne jouait encore à l’époque. Aujourd’hui, tout le monde joue au tennis, mes frères, ma mère…Vous aviez quand même une culture sportive…Bien sûr. Moi je faisais du foot à cette époque. Un petit peu de basket aussi, en loisirs. Mais surtout du foot. Je jouais tout le temps au foot. J’avais commencé dans notre jardin familial, qui était assez grand, puis j’étais passé en club, au FC Loon-Plage. J’ai arrêté le football en club vers l’âge de 12 ans, pour continuer uniquement en loisir chez moi, en famille et avec des amis. Mais au total, j’ai dû en faire 6 ou 7 ans en club.Vous connaissiez donc la vie d’un club de sport avant d’arriver au TC Loon-Plage en 2001… Vous avez des souvenirs précis de votre première journée ?Pas dans les détails, non. Mais j’ai le souvenir d’avoir tout de suite accroché avec le tennis. Dès la première fois, j’ai eu très envie de revenir, de réessayer, de rejouer. J’ai rapidement pris une licence et suivi des cours. Tout a commencé comme ça, assez normalement finalement !Rapidement, vous y êtes allé tous les jours ! Votre maman a raconté que vous aviez toujours besoin de bouger.Le club était à 200 mètres de chez moi, donc à une minute à pied à peine. C’était facile d’y passer mes journées. On peut même dire que j’y passais ma vie quand j’étais gamin. J’y étais même quand je ne jouais pas, pour l’ambiance, pour voir les autres. Quand je quittais l’école à 16h30, à 16h45 j’étais déjà au club ! Je faisais mes devoirs dans une salle au club, et ensuite je participais à tous les entraînements de la soirée.Vous étiez déjà le gros bosseur que l’on connaît aujourd’hui ?Peut-être, oui. Une fois mes devoirs finis, j’enchaînais tous les cours. Je pouvais aussi bien me glisser dans l’entraînement des +35 ou +45 femmes que dans celui de l’équipe 1. C’était un petit club, à l’ambiance conviviale et familiale. Je reconnais avoir eu de la chance qu’on me laisse participer à tous les cours. Je n’aurais peut-être pas pu le faire ailleurs aussi facilement – d’autant plus que je ne payais pas ces heures supplémentaires. Mais c’était pareil pour d’autres membres du club. L’accès aux terrains et au jeu nous a été grandement facilité, c’était parfait pour moi. C’est l’avantage sans doute de ces petits clubs, quand l’ambiance est formidable.Vous étiez peut-être aussi un peu le chouchou…En tout cas, j’étais accepté dans tous les cours et je venais tous les soirs. Je restais jusqu’à 21h30, heure à laquelle je rentrais chez moi. Là, je mangeais un morceau et j’allais me coucher. Voilà à quoi ressemblaient mes soirées vers 11 ou 12 ans.Maintenant que vous êtes dans le top 20 et numéro un français, que représente le TC Loon-Plage pour vous ?Ça n’a rien changé. J’y suis toujours licencié. Et je suis resté en contact avec mes premiers professeurs, Christophe Zooneckynd et sa femme Guylène. Bien s’entendre avec ses professeurs est primordial. Christophe et Guylène m’ont conforté dans mon amour du tennis, et Christophe a continué à s’occuper de moi quand je suis passé à l’étape supérieure, quand j’étais en sixième. Cette année-là, je me suis entraîné beaucoup plus, plus sérieusement. Pendant les heures de sport, je quittais le collège pour faire mon entraînement physique avec lui. J’avais obtenu cette autorisation ! Tout cela a tissé un lien assez fort entre nous. J’ai quitté Christophe l’année suivante, quand j’ai été pris en charge par la FFT.Ce sont eux qui vous ont inculqué l’amour du travail, que vous partagez maintenant depuis plusieurs années avec Emmanuel Planque ?Oui, rétrospectivement je me rends compte qu’ils m’ont inculqué les valeurs du travail. Mais sur le coup, quand on est petit, je ne suis pas sûr qu’on s’en rende vraiment compte. Mais s’ils m’ont appris à travailler, ils m’ont aussi appris à prendre du plaisir. Plaisir et travail ont toujours été deux notions très liées.Et la compétition, comment est-elle arrivée dans votre parcours?Très vite. Mais je n’ai pas le souvenir de mon premier match, même si ça devait certainement être lors du tournoi de mon club… En revanche, je peux me souvenir de mon premier classement, qui a dû être 30/5, à l’âge de 8 ou 9 ans. Le classement 40 n’existait pas encore. L’année suivante, je suis monté 30, puis 15/3. C’est à ce moment-là que j’ai été repéré par la ligue, et que j’ai ensuite intégré le Pôle France de Poitiers, puis l’INSEP et Roland-Garros.Parallèlement à vos premiers tournois, vous découvrez aussi les matchs par équipes…Les premiers matchs par équipes m’ont peut-être plus marqué que mes premiers tournois en simple. J’ai commencé dans l’équipe des 9-10 ans, puis 10-11 ans. (Il sourit) Tiens, j’ai même les noms des adversaires de l’époque qui me reviennent en tête, rien que d’en parler…Votre amour de la Coupe Davis vient de là ?Non, il est en moi depuis plus longtemps encore. Depuis toujours en fait. Dès mon plus jeune âge, j’ai regardé l’équipe de France, dans tous les sports. Je regardais le foot, mon premier sport, mais aussi tout le reste. Même le curling (rires)! Je ne suis pas forcément fan de curling, mais s’il y a l’équipe de France, ça m’intéresse. En ce qui concerne la Coupe Davis, je me souviens l’avoir découverte lors de la finale de 2002, quand la France était tenante du titre et avait perdu en finale contre la Russie, à Bercy, avec ce fameux match entre Paul-Henri Mathieu et Mikhail Youzhny (N.D.L.R.: le Russe gagne ce match décisif en 5 sets, après avoir été mené 2 sets à 0). Depuis décembre 2002, je n’en ai pas raté beaucoup. Peut-être même pas une seule, d’ailleurs !Vous avez gagné cette coupe 15 ans après ! En 2002, le petit Lucas, qui avait alors 8 ans, était-il conscient de tous les sacrifices et les efforts à fournir pour arriver à ce sommet ?Non, enfant je crois qu’il est difficile de réaliser à quel point c’est dur. Mais les sacrifices se font petit à petit et j’ai toujours su pourquoi je les faisais. C’est sûr, partir de la maison à l’âge de 12 ans n’a pas été un choix facile. Surtout pour mes parents. Mais on en avait beaucoup discuté avant et ils m’ont laissé faire mon choix tout seul. Je ne sais pas si beaucoup d’enfants de cet âge-là sont prêts à faire ça. Je me suis retrouvé, très jeune, à 6 ou 7 heures de route de chez moi.Et si tout cela était à refaire ?Je le referais, sans hésitation. Mais je déciderais peut-être de quitter le domicile familial un tout petit peu plus tard. Je dirais un an et demi plus tard, vers 13 ans et demi. 12 ans, c’est un peu tôt. On change beaucoup entre 12, 13 et 14 ans. Mais je ne regrette rien.Aucun regret aujourd’hui donc, et toujours la même envie qu’à vos débuts ?J’adore ça. Les jours où je ne joue pas, ça me manque. Mais il y a des moments difficiles, des moments où l’envie est moins forte. On est comme tout le monde finalement, il y a des jours où on a du mal à se sortir du lit pour aller bosser. Moi, j’ai besoin d’avoir une envie de dingue quand je rentre sur le terrain, même à l’entraînement. Mon travail consiste aussi à cultiver cette envie, à faire en sorte que le curseur soit toujours au maximum. Mais j’aime tellement ça. Je vais vous dire: le tennis est la chose que j’aime le plus au monde.Propos recueillis par Julien PichenéRepères• Né le 23 février 1994 à Grande-Synthe (Nord)• 1,85 m – 81 kg• Coach: Emmanuel Planque• Vainqueur de 5 titres ATP (Metz en 2016, Budapest, Stuttgart et Vienne en 2017, et Montpellier en 2018)• Vainqueur de la Coupe Davis en 2017 (5 rencontres disputées au total, depuis 2016)• Meilleur classement: 10e mondial