Dans ce "Conseils aux compétiteurs" un peu spécial (actualité oblige !), nous vous révélons quelques secrets de la terre battue de Roland-Garros.
Elles sont les stars du moment. On les voit sur tous les écrans, dans leurs belles robes orangées, prêtes à accueillir à partir de ce dimanche les meilleurs joueurs du monde. Considérées comme les meilleures au monde, les terres battues de Roland-Garros abritent, entre chaque grain d’ocre, un siècle de savoir-faire savamment entretenu au fil des ans. Un savoir-faire aujourd’hui entre les mains de Philippe Vaillant, responsable du service d’entretien des courts à la FFT, qui nous dévoile ici quelques petits secrets des terrains dont il a la charge.
1) Elles sont refaites entièrement tous les (environ) 15 ans
Comme toutes les terres battues, celles de Roland-Garros subissent un petit lifting annuel au début du printemps, avec un décompactage de la surface de jeu. Une remise en état à priori routinière mais qui est faite, à Roland-Garros, avec une exigence infinie.
"Cette année, par exemple, quand on a fini le Chatrier, on s’est aperçu qu’il y avait un léger creux au milieu. On aurait pu le rattraper mais on a choisi de tout recommencer de A à Z, raconte Philippe Vaillant. Pareil avec le Simonne-Mathieu et le court 6. Nos terres battues sont un beau bijou posé dans un magnifique écrin, mais pour entretenir ça, nous n’avons pas le droit à l’erreur."
Et puis, au bout d’un certain nombre d’années, les différentes couches en sous-sol de la terre battue (calcaire, mâchefer) finissent par s’user. Là encore, Roland-Garros ne peut se permettre le moindre laxisme. Aussitôt que l’usure commence à se faire sentir, tous les 10-15 ans environ, les terres battues sont ainsi entièrement refaites.
La plupart des courts annexes ont été refaits récemment, dans le cadre de la modernisation du stade. Le plus ancien demeure, aujourd’hui, le Philippe-Chatrier, dont la dernière réfection totale date de 2014.
© Le court Philippe-Chatrier, comme les autres, subit un lifting complet tous les 15 ans.
2) Elles sont uniques au monde
En soi, la confection des terres battues de Roland-Garros n’est pas un secret. Les matériaux utilisés, les mêmes depuis de très longues années, sont connus de tous : la brique pilée provient des Briqueteries du Nord, elle est broyée ensuite dans une usine de l’Oise à Pontpoint, tandis que le calcaire est extrait des carrières de Saint-Maximin, également dans l’Oise. Quant au savoir-faire, il est volontiers partagé par les équipes de la FFT, notamment via des journées de formation.
Mais c’est justement ce mariage entre le matériau et le savoir-faire qui fait l’essence et la particularité d’une terre battue. A l’heure actuelle, Roland-Garros est le seul stade à en bénéficier, même si ses équipes sont libres d’exporter leur expertise.
"En 2009, à une époque où j’avais monté ma propre société, j’avais fait pour Roger Federer une terre battue similaire à Roland-Garros, en Sardaigne, se remémore ainsi Philippe Vaillant, qui est arrivé pour la première fois à la FFT en 1995. Bingo : cette année-là, il a gagné !"
© La fameuse brique pilée de Roland-Garros !
3) Elles "consomment" un peu moins de brique pilée qu’avant
Si la recette des terres battues de Roland-Garros est inchangée depuis des décennies, il n’en va pas tout à fait de même de la façon de la travailler. "Par rapport à mes débuts ici, le travail s’est légèrement mécanisé, dévoile encore Philippe Vaillant. Avant, tout était fait à la main. Aujourd’hui, nous utilisons des tracteurs pour retourner la chape de calcaire et des rouleaux mécaniques pour le compactage. Celui-ci, du coup, est de meilleure qualité, ce qui nous permet de répandre un peu moins de brique pilée en surface."
Le gros avantage de cette légère diminution de l’ocre est de générer moins de faux-rebonds, avec pour conséquence des terrains un peu plus rapides qu’avant.
A noter qu’il faut environ 1,5 tonne de brique pilée pour recouvrir le court Philippe-Chatrier. Avec la tenue des Jeux Olympiques cet été, Roland-Garros utilisera en 2024 environ 80 tonnes de brique pilée, soit le double d’une année "normale".
© Une recette inchangée, mais moins de brique pilée !
4) Elles ont des lignes de dimension égale et peintes sur de l’huile de lin
C’est une autre spécificité des terres battues de Roland-Garros : chaque année, après la réfection des courts, les lignes sont refaites selon un procédé très artisanal que décrit Philippe Vaillant : "Avec des petits couteaux de peinture, nous grattons la brique pilée jusqu’au calcaire, puis nous appliquons une couche d’huile de lin cuite. Une fois que celle-ci devient dure, nous appliquons une première couche de peinture avec une machine, puis une deuxième couche de finition, très blanche, avec un pinceau."
Toutes les lignes de Roland-Garros font 5 cm d’épaisseur, y compris celles du fond qui, selon la règlementation en vigueur, peuvent mesurer jusqu’à 10 cm, comme c’est le cas sur certains tournois. "C’est un choix purement esthétique, nous trouvons que cela rend mieux visuellement", explique le "boss" de la terre.
© Le dessin des lignes des courts de Roland-Garros est un art...
5) Elles "embauchent" 184 personnes pendant le tournoi
Surface par essence vivante et très sensible aux éléments météorologiques, la terre battue nécessite une vigilance permanente. Le secret principal de la qualité des terres battues de Roland-Garros réside certainement là : elles sont bichonnées à longueur de journée, par des experts dévoués corps et âme.
"A l’année, nous sommes une dizaine de permanents au service d’entretien mais pendant Roland-Garros, nous sommes une équipe de 184 personnes, dont 11 rien que sur le Chatrier, dévoile Philippe Vaillant. Tout le matin, dès 6h30, les courts sont nettoyés, balayés, grattés et rechargés en brique pilée. Nous retravaillons aussi la planéité (NDLR : les terrains sont très légèrement bombés, pour favoriser l’évacuation de l’eau) et nous rajoutons du chlorure de calcium pour garder l’humidité en surface, ce qui permet de limiter l’arrosage. C’est ce genre de petits détails qui font la différence."
Quant aux journées, elles s’achèvent très tard, à l’issue derniers matches. Les terres battues, bâchées, peuvent alors enfin prendre un peu de repos, comme les anges gardiens chargés de veiller sur elles.
© Les équipes chargés de l'entretien des courts bichonnent la terre battue tout au long de la journée.