Dans ce nouvel épisode de "conseils aux compétiteurs", Pierre-Hugues Herbert, vainqueur de tous les Grands Chelems en double, nous livre les secrets du service lifté (ou kické), dont il est l'un des meilleurs spécialistes.
C'est un peu le roi des services, sans doute aussi le plus difficile à maîtriser : le service lifté, service kické pour les intimes, est pourtant une arme à posséder impérativement dans son jeu si l'on veut passer un certain cap.
Parce qu'il a un double avantage :
1 - Il permet de donner beaucoup plus de sécurité à sa deuxième balle (voire à sa première), grâce à sa marge supérieure vis-à-vis du filet. La balle passe plus haut puis, grâce à l'effet, retombe plus vite vers le sol, ce qui limite aussi les fautes en longueur.
2 - Il gêne considérablement le relanceur avec son double effet "kiss cool", à la fois vertical et sortant, qui va permettre à la balle de rebondir simultanément vers le haut et sur le côté. D'où son efficacité d'autant plus grande côté opposé (côté avantage pour les droitiers, égalité pour les gauchers).
Comme de nombreux serveurs-volleyeurs (remember Stefan Edberg ou Pat Rafter…), Pierre-Hugues Herbert affectionne particulièrement le service kické, qui lui laisse aussi plus de temps pour arriver au filet.
"Je l'utilise beaucoup contre les joueurs au revers à une main, car c'est plus difficile pour eux de retourner au-dessus de l'épaule, ou ceux qui retournent de loin, qui se retrouvent ensuite avec beaucoup de terrain à couvrir côté opposé", nous explique "P2H", qui se remet toujours actuellement d'une blessure aux abdominaux contractée fin mars lors du Challenger de Saint-Brieuc.
Avec son impressionnante rotation dorsale et sa forte poussée des jambes, en plus bien sûr de sa technique impeccable, l'Alsacien est devenu l'un des meilleurs spécialistes d'un exercice dont il nous livre, ici, quelques petits secrets.
1) Lancez la balle plus à gauche, et faites-la retomber davantage
C'est la base. Pour effectuer un service lifté, il va falloir lancer la balle à gauche de soi (pour un droitier), au-dessus de sa tête (jamais derrière). En gros, en imaginant que votre corps représente les aiguilles d'une montre, vous lancez à 11h (13h pour un gaucher).
"Si on la lance trop devant ou trop à droite, ce sera physiquement impossible de positionner sa raquette en dessous de la balle pour lui imprimer ensuite la rotation vers le haut", avertit Pierre-Hugues.
Voilà donc déjà la principale différence entre le service lifté et le service à plat ou slicé, qui nécessitent un lancer la balle plus dans l'axe ou plus à droite (toujours pour les droitiers). Même un Roger Federer, qui était passé maître dans l'art de masquer ses différents lancers, pouvait difficilement couper à de légères nuances.
© FFT / Cédric Lecocq
Le "kick" au service a été utilisé par tous les plus grands joueurs.
Autre différence importante, ensuite, dans la phase de lancer : il va falloir laisser retomber la balle un peu plus bas. "Sur une première à plat, on va chercher la balle au sommet ou presque alors que sur un service lifté, on va la laisser redescendre un peu plus pour pouvoir ensuite l'attraper dans ses cordes et la gratter", précise l'ancien numéro 2 mondial de double. Le rythme du geste est donc sensiblement différent.
2) Frappez la balle à la fois verticalement et latéralement
Nous voilà au cœur du "problème". Le principe d'un service kické, on l'a dit, est de faire tourner la balle sur elle-même verticalement mais aussi latéralement. Grosso modo, du Sud-Ouest vers le Nord-Est, pour un droitier. Pour imprimer ce spin "panier à salades" qui deviendra le cauchemar du relanceur, pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre qu'il faut la frapper au diapason : verticalement, et latéralement.
"Il faut avoir l'impression, quand la balle sort de la raquette, qu'elle va partir vers le haut, ce qui n'est pas forcément le cas", visualise "P2H", qui recommande d'ailleurs un exercice simple consistant à lancer la balle et la projeter vers le ciel en cherchant, dans un premier temps, uniquement à la gratter, juste pour apprivoiser le mouvement.
"Par ailleurs, il faut aussi avoir la sensation de frapper la balle un peu plus sur le bord du cadre, justement pour pouvoir la garder le plus longtemps possible dans le cordage et ainsi la gratter davantage. L'effet imprimé sera encore plus grand."
© FFT / Nicolas Gouhier
Herbert le confirme : un des maîtres absolus du kick est l'Américain John Isner. Dominic Thiem ou encore Reilly Opelka sont aussi des spécialistes.
3) Finissez le geste davantage devant vous
C'est la résultante naturelle du point 2. Si la balle est correctement frappée, c'est-à-dire verticalement et latéralement, la fin de geste sera différente d'un service à plat ou slicé. "La trajectoire de la raquette n'est pas la même, confirme le vainqueur de la Coupe Davis 2017. Comme la raquette part plus vers le haut et plus vers la droite (toujours pour un droitier, NDLR), le geste se finira forcément moins au niveau de la jambe gauche mais un peu plus devant soi."
Pour faciliter l'apprentissage du coup, certains préconisent d'ailleurs de "bloquer" l'accompagnement pour finir le geste avec la raquette en position haute et latérale. Juste après la frappe, le "cassé" du poignet nécessaire au grattage de la balle orientera naturellement le bout de la raquette vers le sol.
On ne l'avait pas encore dit car c'est le "BA-ba" du service, mais le préambule à cette action du poignet est une prise de raquette adaptée, c'est-à-dire une prise marteau (là encore, à quelques nuances près). A part peut-être Boris Becker, on n'a jamais vu personne dans l'histoire du tennis frapper un "kick" avec une autre prise.
© FFT / Pauline Ballet
Le kick est aussi une affaire de patience...
4) Armez-vous de patience et travaillez physiquement
Le service lifté est un coup difficile, sans aucun doute plus difficile à maîtriser que le service à plat ou le service slicé. "Parce que c'est un coup qui est aussi plus exigeant physiquement, explique celui qui s'apprête à devenir papa pour la deuxième fois. Il nécessite d'avoir un très bon gainage du haut du corps, une bonne mobilité de l'épaule et du tronc ainsi que de la puissance dans les jambes. C'est la raison pour laquelle il est difficile à travailler quand on est jeune et qu'on n'a pas forcément les capacités physiques nécessaires. Mais plus on grandit, plus on se rend compte de l'efficacité du service lifté. Car plus on le tape de haut, plus le rebond est haut."
Pierre-Hugues, lui, l'a travaillé dès son plus jeune âge, guidé par son père et entraîneur (Jean-Roch) qui l'incitait parfois, sur certains matchs, à jouer deux services liftés. Il ne saurait donc trop recommander de le faire aussi, en se faisant accompagner par un entraîneur professionnel pour éviter les mauvaises postures – "un lumbago est vite arrivé !" – et, bien sûr, en multipliant les paniers de balle. "C'est un coup très technique, qui demande une sensation très particulière dans la raquette. C'est difficile à l'apprendre en lisant un texte. Il faut s'armer de patience et le pratiquer, encore et encore." Il n'y a plus qu'à…
(Rémi Bourrières)