Le match de ma vie (6) : Victor Lamm

2 avril 2019

Sixième épisode du match de ma vie, le récit de Victor est celui d'une victoire qui a mis longtemps avant d'accoucher. A la 19e balle de match pour être précis...

Vous avez joué un match de 12 heures ? Vous avez battu Roger Federer quand il était jeune ?  Vous avez gagné après avoir été mené 6/0 5/0 40-0 ? Vous avez disputé un tournoi en jouant pieds nus et en costume cravate ? Dans cette nouvelle rubrique, nous vous invitons à partager vos plus belles expériences sur le court,  quel qu'il soit (tennis, padel, beach...).Sixième épisode : Victor Lamm, qui a croisé le fer avec le gratin du tennis français lors de ses jeunes années, période au cours de laquelle il est monté jusqu’à -2/6. Victor se souvient ici d’un match où il a eu besoin... de 19 balles de match avant de s’imposer. A 12 ans. Séquence émotions.Identité : Victor Lamm (@victhebrick)Club actuel : Sporting-Club HoulgateClub au moment du match de sa vie : Lagardère Paris RacingMeilleur classement : -2/6 (avec perfs à -30)Année de naissance : 1985Quand et où a eu lieu ''le match de votre vie'' ?C’était en juin 1997 au Paris Université Club, le PUC Paris, au Stade Charléty. Ça me fait drôle de dire que 'le match de ma vie' a lieu au PUC, mais c’est ainsi. Bon, ce n’est pas ma plus belle performance, mais c’est le scénario le plus incroyable que j’ai vécu.

En 1997, vous aviez donc...12 ans ! J’étais 15/4 et j’étais dans le top 10 national de ma catégorie d’âge. A l'époque, j'étais entraîné par Olivier Frappat à la ligue. Mais le début de ma saison 1997 était très moyen. En juin, quand arrive le tournoi du PUC, je n’avais pas encore de  perf. Et me voilà face à un 15/3 de 14 ans dans le tournoi minimes (Jérémy Goux, toujours licencié à l'AS Meudon)... À ce moment-là, je n’avais encore jamais battu un joueur classé 15/3.Et alors, ce scénario ?Tout commence bien. Je mène 6/4 5-4 et 40-0. Match très propre. Mais à ce moment-là, mon adversaire commence à me faire des amorties dans tous les sens. Il sauve ces trois balles de match et recolle à 5 partout. Je parviens à reprendre l’avantage, 6-5. Là, j’obtiens trois nouvelles balles de match à 40-0, et une autre aux avantages

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Et ça ne suffit toujours pas ?Je n’ai pas raté tant que ça. Mais lui faisait vraiment des beaux points : des amorties gagnantes, des lobs, des passings, etc. Tout ce qui peut faire péter un plomb sur un terrain de tennis en fait.Au moment où commence le tie-break dans le deuxième set, il a donc déjà sauvé 7 balles de match !Et j’en ai eu encore 11 dans le tie-break… que j’ai perdu 22/20 ! Non ce n’est pas Borg/McEnroe à Wimbledon le tie-break du siècle, c’est celui-là ! A 6/4 5-4, mon adversaire s’était rendu compte que l’amortie marchait bien et que j’étais assez moyen dans mes courses vers l’avant, et du coup il en a encore fait beaucoup. J’ai réussi à sauver 3 ou 4 balles de set avant qu’il n’égalise à un set partout, mais c’est moi qui ai fini par craquer dans ce jeu décisif.

Manquer 18 balles de match, comment le vit-on ? D'abord est-ce qu'on s'en rend compte, est-ce qu'on les compte ?Oui, je les ai comptées pendant le match, ma mère aussi... Je suis assez nerveux sur le court. J’ai cassé pas mal de raquettes, et c’est sûrement en bonne partie grâce à moi que la marque Babolat a réussi à grandir, vu que j’achetais trois raquettes par an (sourire)... Là, j’étais si nerveux que j’avais passé un cap. Je me suis énervé sur les premières balles de match manquées, mais au bout d’un moment, c’était trop gros pour que je puisse réagir. Casser une raquette, ça n’aurait pas été assez par rapport à ce que je vivais.Plus sérieusement, mon adversaire était sympa et nos parents étaient là. J’ai hurlé, mais je n’ai pas cassé de raquette. 18 balles de match, c’est fou... Je sais que Kuerten en avait manqué une bonne dizaine contre Norman sur un match avec un enjeu légèrement moins important (re sourire), en finale de Roland-Garros en 2000… Mais là nous étions en 1997, ce match n’avait pas encore eu lieu et j’étais juste désemparé.Pas évident de se remettre dedans quand débute le troisième set...À un set partout, j’ai pleuré. Je me suis même demandé si je devais continuer. Heureusement, mon adversaire est parti aux toilettes très longtemps. Ça m’a laissé le temps de me calmer. Et finalement, au troisième set, je me suis vite mis dedans. J’ai pris point par point, sans repenser à ces 18 balles de match manquées. Je me détache de nouveau dans ce troisième set et là, curieusement, je parviens à conclure à ma toute première balle de match, la 19ème donc, à 5 jeux à 3.Vous souvenez-vous de la balle de match ?C’était un smash gagnant. Je revois ma mère bondir de sa chaise, alors que d’habitude elle ne montrait presque aucune émotion quand je jouais. Elle était soulagée de ne pas avoir à m’entendre pleurer sur tout le chemin du retour, et plus si affinité… Et j’étais fier de moi, d’avoir réussi à me remettre dedans. Je battais mon premier 15/3 et avec la manière, au terme d'un match de plus de 3 heures.

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La 19e balle de match a été la bonne !

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Ce match vous a-t-il rendu plus fort ?Déjà, je crois me souvenir avoir remporté le tournoi. Par la suite oui, c’est un match qui m’a aidé à rester plus calme dans ce genre de "situations critiques". Je n’ai pas souvent perdu après avoir eu des balles de match. Je savais que je devais rester calme et rester au présent. Quand on manque une balle de match, il faut se rappeler qu’on est au-dessus de l’adversaire vu qu’on est déjà arrivé à un petit point de la victoire. Si on reste concentré et bien dans son match, il n’y a pas de raison que l’occasion ne se représente pas.Vous avez été classé -2/6 et vous avez joué contre certains des meilleurs joueurs français. Ça doit aussi constituer de sacrés souvenirs...Oui j’ai eu la chance de faire partie de la génération des "big 4" du tennis français vu que je suis de 1985. J’ai joué Gilles Simon (1984) chez les juniors. J’étais 0 et lui -2/6. À ce moment-là, je ne pensais pas qu’il ferait une telle carrière car il était encore petit et je me souviens l’avoir accroché. Jo-Wilfried Tsonga (1985) lui m’a mis deux raclées sur dur intérieur, à 14 et 16 ans. J’ai pris des aces dans tous les sens. J’aurais aimé le jouer un peu plus tôt, sur terre battue extérieure. Je n’ai pas eu de bol… J’ai aussi joué souvent contre Gaël Monfils (1986). Cinq ou six fois. Je l’ai battu deux fois en matches par équipes et une fois au Championnat de Paris chez les minimes. 6/3 0/6 6/3 ! Il était déjà imprévisible sur le court et faisait déjà des glissades sur dur...  J’ai perdu notre dernier match chez les cadets. 6/4 au 3e set. Et après il a vraiment décollé en passant de 0 à 1ère série en seulement 2 ans je crois.Et Richard Gasquet ?Je l’ai joué deux fois. Une première fois quand il avait 10 ans. C’était déjà une star, il avait fait la couverture de Tennis Magazine un an plus tôt. On s’est affrontés sur l’ancien court 17 de Roland-Garros lors d’un rassemblement des interligues, à Roland-Garros. Les sets étaient en 5 jeux gagnants et il écrasait tout le monde. Avant de jouer contre moi, il avait gagné tous ses matchs 5/0 5/0 ou 5/0 5/1. Moi, j’ai réussi à l’accrocher et à aller jusqu’à 4 partout, ce qui l’avait fait pleurer car il n’avait pas l’habitude d’être bousculé. C’était déjà un génie !On s’est retrouvés quelques années plus tard sur le même court au championnat de France Cadets. Il était -15 et moi 2/6. Le court était plein à craquer, il y avait toute ma famille. J’ai perdu 6/2 6/0... Dur ! Je me souviens à 6/2 4-0, sur mon service, il m’a sorti trois amorties gagnantes de suite… sur mon 1er service ! C’était en septembre 2001. Quelques mois plus tard, il passait un tour à Monte-Carlo contre Franco Squillari. Moi je faisais les qualifs d’un tournoi juniors… je me suis dit que je n’avais pas à avoir honte de la petite correction qu’il m’avait mise … et en même temps c’est peut-être là que je me suis rendu compte que ça allait être très compliqué de devenir professionnel !Et les étrangers ?J’ai aussi joué contre Tomas Berdych lors d’un tournoi à Gradignan. On avait 12 ans. J’avais fait un super match contre un Belge tête de série la veille. J’étais en pleine confiance. Berdych, je ne savais pas qui c’était, et je n’avais pas vu ses matchs précédents. On avait un arbitre de chaise qui annonçait nos noms au début de la rencontre, comme chez les pros. Je me souviens avoir fait le « kéké » quand il a annoncé le mien. J’avais levé les bras en regardant mon groupe qui était au bord du court... 45 minutes plus j’avais pris 6/3 6/2 et je pleurais sur ma chaise. Il a mis des raclées à tout le monde et il a gagné le tournoi. J’ai bien évidemment retenu son nom. Et je n’ai pas été très surpris en le voyant arriver sur le circuit quelques années plus tard.

Vous jouez toujours aujourd’hui ?  J’ai réussi la prouesse de me casser le coude, le poignet et le petit doigt droit depuis 2016… Donc j’ai très peu joué depuis 3 ans. Je suis redescendu à 4/6. J'ai joué un peu de la main gauche, je crois que j'avais un niveau aux alentours de 15/3 (sourire). Je vais essayer de m’y remettre là. Je vais jouer les quatre Grands Chelems de Normandie : le Villers Open, Cabourg Garros, Wim’Houlgate et l’US Honfleur...

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Pas mal ce coup droit de gaucher !

Allez, encore une ou deux anecdotes pour la route !J’ai été champion de France en double à 14 ans avec Cyril Mokaiesh, qui aujourd’hui est chanteur (je vous invite à l’écouter d’ailleurs, c’est vraiment bien). Et j’ai réalisé la meilleure perf de ma vie, contre un -30, alors que je m’étais couché à 6 heures du matin. Je jouais à 10h30, je n’avais quasiment pas dormi, pensant que je n’avais absolument aucune chance. J’étais relâché, j’ai lâché mes coups, tout rentrait. A 6/3 2-0 pour moi, il a balancé. Miracle.Conseillez-vous de sortir les veilles de matches importants ?Une autre fois, dans une situation similaire, j’ai aussi pris 6/0 6/0 en contre en perdant les 16 premiers points du match… donc je resterais prudent… Souffler dans le ballon avant d’entrer sur le court peut être une idée à creuser. Je vais en parler avec la FFT…

Une dernière anecdote avant de nous quitter ?Allez. En 2006, je faisais mes études aux Etats-Unis. Je joue en simple n°2 avec l'Université de Californie Irvine contre San Diego dans le championnat NCAA de Division 1. Je mène 6/4, 5/4, balle de match, mais je perds le deuxième set au tie-break. De rage, j'expédie une balle dans les airs. Point de pénalité direct là-bas. Je démarre le troisième set à 0-15, pas trop grave mais je finis par perdre 6/2. De nouveau je balance une balle dans les cieux après ma défaite. Sauf que le règlement stipule que l'on passe cette fois à un jeu de pénalité et qu'il est "imposable" à un autre match en cours…Mon "roomate", Mustafa, était mené  7/6, 4-3 en simple°3. Pas un seul break du match !  Il s'apprête à servir mais l'arbitre annonce jeu de pénalité contre lui… 7/6, 5-3, bientôt 6/3. Le soir, on dormait dans des lits superposés, l'ambiance était forcément un peu tendue... (sourire). Le coach était fou. Pendant un mois, j'ai dû courir 5km après chaque entraînement et jouer les porteurs d'eau pour l'ensemble de l'équipe… J'ai arrêté de m'énerver à la fin de mes défaites par la suite. Enfin aux Etats-Unis… Depuis mon retour en France, je profite de ma liberté retrouvée pour lancer la balle où bon me semble (rires).

Recueilli par Julien Pichené