A 27 ans, Emmanuelle Mörch est 25e mondiale et n°2 française du classement de tennis-fauteuil, derrière Charlotte Famin (9e mondiale). Cette jeune fille brillante, diplômée d’une école d’ingénieur et qui travaille actuellement dans le marketing, joue également un petit rôle dans le dernier film de Franck Dubosc "Tout le monde debout".
Ce long métrage - qui sort en salles le 14 mars 2018 - aborde la question du handicap à travers notamment le tennis-fauteuil. Emmanuelle, joueuse du club d’Antony, nous parle de cette opportunité de donner plus de visibilité à la discipline, de sa vie au quotidien sur le circuit, et de ses espoirs, notamment en ce qui concerne un certain évènement prévu en 2024…Emmanuelle, racontez-nous comment vous vous êtes retrouvée dans le film "Tout le monde debout" ?C’est le producteur qui m’a contacté. Ses équipes cherchaient une doublure pour Alexandra Lamy, qui joue au tennis-fauteuil dans le film. Notre sport était encore rattaché à la Fédération Handisport et ils ont donné mon nom car je correspondais plutôt bien à la morphologie d’Alexandra. Finalement, on s’est rendus compte que ça allait être compliqué pour que ce remplacement soit crédible ! Mais Alexandra se débrouillait bien et n’a pas eu besoin de doublure. Elle n’a fait que quelques entraînements, donc elle n’a pas un niveau exceptionnel, mais elle arrivait à jouer. Le film est bien monté, le rendu est très bon. De mon côté, on m’a alors proposé de jouer le rôle de son adversaire.Alexandra Lamy avait déjà joué au tennis ?Oui, il y a longtemps, cela faisait 15 ans qu’elle n’avait pas touché une raquette. Elle devait retrouver ses repères au niveau des gestes, plus intégrer un déplacement de fauteuil. Mais elle a vite progressé. Elle a une pêche d’enfer tout en étant très impliquée.Comment avez-vous vécu cette première expérience au cinéma ?J’ai adoré ! C’était plus ou moins facile car je jouais mon propre rôle, qui est finalement assez court. Je rentre sur le terrain, je gagne, je la salue… Même si c’est une première fois, c’était forcément un peu stressant, j’avais envie de bien faire. Je suis vraiment contente du résultat.Cela vous donne envie de débuter une nouvelle carrière ?Pourquoi pas (rires) ? Je suis déjà bien occupée et il me paraît difficile de faire autant de choses à la fois. C’est une chose de jouer un rôle dont on a l’habitude et c’en est une autre d’interpréter quelqu’un de complètement différent. Je n’ai aucune notion de théâtre, il me faudrait donc beaucoup travailler pour être actrice.
Votre notoriété va sans doute grandir avec ce film. Devenir une sorte d’ambassadrice du tennis-fauteuil vous plairait-il ?Ce serait génial d’avoir ce rôle-là. Nous ne sommes pas encore très nombreux et beaucoup de personnes ne connaissent pas l’existence de notre sport. Je pense que plus on communique, plus on a de chances d’attirer de nouvelles personnes et d’instaurer une dynamique. A ma petite échelle, si je peux faire changer quelques regards et faire venir quelques personnes au paratennis, ce serait une grande satisfaction."J’ai essayé le tennis quand j’avais six ans… mais je n’avais pas du tout accroché !"Revenons un peu en arrière : quand avez-vous commencé le tennis-fauteuil ?J’ai subi un accident de snowboard à 17 ans. J’ai passé 10 mois en centre de rééducation avant d’intégrer une classe préparatoire math sup-math spé. Même si je n’avais pas vraiment le temps de faire du sport, j’ai découvert le tennis-fauteuil à ce moment, lorsque j’avais 20 ans. J’ai commencé les entraînements l’année d’après, en 2011.Aviez-vous déjà pratiqué le tennis avant votre accident ?J’avais essayé quand j’avais six ans… mais je n’avais pas du tout accroché ! J’ai alors fait beaucoup d‘autres sports, notamment de l’équitation. Après mon accident, j’ai essayé le basket, sans grand succès. Je voulais trouver un sport que je n’avais pas - ou peu - pratiqué avant pour ne pas avoir des frustrations du style : je ne peux plus faire ça, avant c’était mieux… J’ai alors rencontré Jean-Pierre Limborg (membre du Conseil supérieur du tennis, ndlr) qui m’a bluffé, qui m’a vraiment impressionné. Il jouait à Antony… et c’est ainsi que les choses ont commencé.Vous faites partie des 30 meilleures joueuses mondiales, tout en travaillant dans une entreprise. Comment conciliez-vous sport de haut niveau et vie professionnelle ?J’ai fini mes études dans une école d’ingénieur en mai 2015. J’ai ensuite fait du tennis pendant un et demi à plein temps afin de préparer les Jeux. Aujourd’hui, je travaille chez une grande marque de cosmétiques, en marketing. L’année dernière, je travaillais pour mon entreprise à plein temps, mais désormais, je suis passée en 4/5e pour jouer plus de tournois. Le rythme reste intense. Aujourd’hui, je privilégie les tournois en Europe, notamment des ITF 3 (1). Les ITF 3 se déroulent du jeudi au dimanche et je dois prendre deux jours de congé à chaque fois. J’arrive sur place le mercredi soir, tard, pour limiter les dépenses. Tout est optimisé afin de ne pas perdre une minute.La plupart des joueurs et joueuses sur le circuit ont-ils un emploi à côté de leur carrière ?C’est très variable. Dans le top 20, les meilleures ne font que ça et se consacre à plein temps au circuit. Chez les hommes, cela descend plus bas, même s’il y a quelques exceptions de joueurs qui ont un métier à mi-temps. Mais c’est assez rare de travailler avec ce niveau-là. Personnellement, après les Jeux de Rio, j’avais envie de rentrer dans le monde de l’entreprise. Je me suis dit qu’il fallait que je commence à construire la suite. J’étais épuisée de jouer partout dans le monde, avec beaucoup de stress. Je me posais de vraies questions. Mais finalement le retour dans cette vie de l’entreprise m’a ouvert les yeux sur le fait que le tennis est ma passion et que j’avais envie de m’y remettre à fond pour préparer Tokyo 2020. A partir de 2019, je vais donc me remettre à plein temps dans le tennis.Les Jeux de Rio ont visiblement été une expérience douloureuse…Oui, c’est pour ça que j’avais besoin de couper. Avec Charlotte Famin, nous avons perdu en double au premier tour, à l’occasion d’un match accroché qu’on pouvait gagner. A la fin du 3e set, je me suis fait mal, et le lendemain, je n’étais même pas sûre de pouvoir entrer sur le terrain lors de mon simple. J’ai de toute façon perdu contre une joueuse qui est meilleure que moi à la base. Dans ces moments-là, il y a beaucoup de frustration car on a envie de faire mieux, de tout donner. Je n’ai pas joué à mon niveau et c’est cela qui m’a déçu le plus.
Quand on évoque le tennis-fauteuil en France, on pense à Stéphane Houdet ou Michael Jérémiasz. Sont-ils des inspirations pour vous ?Absolument, même si ce sont deux personnalités et deux styles de jeu très différents. Stéphane Houdet est un stratège, il est posé et réfléchit beaucoup. Il a vraiment un jeu intelligent, pas du tout basé sur le physique. Il arrive à contrer son manque de déplacement par son cerveau et je trouve ça très fort. Michael Jérémiasz est très important pour toute la communication qu’il a su développer avant et pendant les Jeux de Rio, et même encore maintenant. Il est un vrai ambassadeur, une personnalité qui inspire.« Le tennis-fauteuil n’est pas un sport qui nous exclut »En tant que joueuse, quels sont vos objectifs et vos espoirs ?Je pense participer à des tournois jusqu’à Paris 2024. L’objectif serait d’avoir une médaille lors de ces Jeux… ce serait un rêve même ! Et même avant, à Tokyo 2020, nous pouvons vraiment faire quelque chose avec Charlotte. Un podium en double est réalisable. Il va falloir beaucoup s’entraîner et progresser car il y a de plus en plus de nouvelles joueuses fortes qui arrivent sur le circuit. Nous sommes une équipe très complémentaire, qui a fait de très bons résultats. En étant sérieuses dans notre préparation, en jouant beaucoup de tournois ensemble, on peut aller loin.Depuis quand jouez-vous avec Charlotte Famin ?Nous avons démarré en même temps. On n’a pas toujours fait les mêmes tournois mais on a beaucoup joué ensemble. Nous sommes très amies, ce qui nous aide sur le terrain. On sait comment gérer la pression de l’autre et calmer sa partenaire quand elle a des doutes.Paris 2024 a l’air de beaucoup compter pour vous…Oui, et j’ai l’impression qu’à chaque Paralympiques, on en parle plus que le précédent. Paris va devoir faire des efforts en termes d’accessibilité, ce qui est bonne chose car les transports en commun ne sont pas très agréables pour les personnes en fauteuil dans cette ville. J’espère que ces Jeux auront un impact très fort qui durera plusieurs années.Que diriez-vous à une personne qui souhaiterait tenter l’aventure du tennis-fauteuil ?Je pourrais donner mes raisons personnelles, mais j’ai surtout beaucoup aimé le fait de pouvoir jouer avec n’importe qui. Il y a, bien sûr, un gros apprentissage au niveau du physique, du mental et de la technique. Mais ce n’est pas un sport qui nous exclut. A l’entraînement, je peux jouer avec ma famille, mes amis, en simple ou en double. Si on veut se lancer dans le haut niveau, il y a un réseau de tournois très développé dans le monde entier. Des terrains de tennis existent partout sur la planète. Avec le tennis, j’ai beaucoup voyagé : en Australie, au Japon, au Brésil… Ça permet de parcourir le monde, de découvrir des gens de différentes cultures. Même si on n’a pas le temps pour faire du tourisme, c’est incroyable de se retrouver dans un environnement complétement différent. Cette universalité du sport me plaît.(1) : Le circuit ITF wheelchair est partagé entre plusieurs catégories : Future, ITF 3, ITF 2, ITF 1, Super Série et Grand Chelem