Antoine Craspail, joueur de l'équipe de France sourds et président de club
E.B.
17 janvier 2025
Parcours atypique que celui d'Antoine Craspail ! Joueur de l'équipe de France des sourds et malentendants mais également président du Tennis Club Urt, le Basque cumule plusieurs casquettes. Il nous raconte sa passion du jeu et des à-côtés de la fonction de dirigeant dans ce nouveau carré para.
Antoine, comment avez-vous commencé le tennis ?
En regardant Roland-Garros qui passait à la télévision sur France 2, quand j'étais petit. Je regardais jouer les professionnels et j'allais aussitôt les imiter en tapant la balle contre le mur de ma maison avec une pala (type de pelote basque) comme je n'avais pas de raquette de tennis à l'époque. Je faisais beaucoup d'aller-retour entre la télé où je regardais comment jouer les joueurs et le mur de ma maison où j'en ai tapé des balles. J'ai bien repeint le mur de ma maison !
Mes parents n'ont donc pas eu à beaucoup chercher et m'ont inscrit dans un club de tennis.
À quel moment avez-vous rejoint votre club ?
J'ai commencé le tennis dans un autre club assez jeune, vers quatre ans, mais j'ai rapidement arrêté pour faire du rugby. C'est en suivant mon meilleur ami du collège, bien plus tard, lorsque je faisais du rugby avec lui en section étude et en club, que j'ai rejoint donc son club où il faisait du tennis depuis plusieurs années.
C'est ainsi que j'ai intégré le Tennis Club Urt en 2010/2011. J'ai rejoint un groupe d'entraînement avec un super coach qui m'a fait énormément progresser !
Après plusieurs années classé 15, je suis actuellement 5/6, qui est mon meilleur classement à ce jour.
Vous avez participé aux championnats d'Europe sourds. Pouvez-vous raconter un peu cette expérience ?
J'ai pour la première fois intégré l'équipe de France en participant au Championnat d'Europe de tennis Sourds et Malentendants qui s'est déroulé en juin dernier à Villach, en Autriche, sur terre battue extérieure.
J'ai joué sur trois tableaux : le simple, le double et le double mixte avec mes partenaires de l'équipe de France. C'était dense car la compétition était organisée sur une semaine et on joue tous les jours avec parfois plusieurs matchs par jour. C'était éprouvant physiquement et mentalement mais pour une première, c'est une expérience incroyable !
J'ai découvert le niveau très relevé du Championnat d'Europe avec de très bons joueurs et joueuses. J'ai pu passer un tour dans chaque tableau avant d'être stoppé par les principales têtes de série sur les trois tableaux donc pas si mal pour une première...
Les compétitions se jouent sans les appareils auditifs afin de mettre tout le monde sur le même pied d'égalité, que ce soit en simple ou en double. Le plus dur est donc la communication lors des doubles avec nos partenaires. On se dérouille avec des signes mais aussi le fait de connaître son partenaire ce qui permet de mettre en place des automatismes. Nous avons eu de beaux résultats avec l'équipe en simple, double hommes, double mixte ainsi que chez les juniors.
© FFT
Une équipe de France qui brille.
Quelles sont selon vous les grandes différences entre le tennis classique et le tennis sourds ?
On pratique le tennis sourds avec un sens en moins, l'audition, puisque nous jouons sans les appareils auditifs. Ainsi nous entendons ni le rebond de la balle, ni le let s'il survient, ni la frappe de raquette, la nôtre comme celle de notre adversaire. C'est perturbant car nous partons avec un handicap. Au final, nous ne pouvons nous appuyer que sur un seul sens, la vue.
Or pour jouer au tennis, on a besoin de tout nos sens pour apprivoiser l'espace. On est en quelque sorte rythmé par le rebond de la balle ainsi que par les sons de frappe des raquettes. On perçoit différents sons selon le type de frappe avant même de lire la trajectoire de balle, comme un lift qui produira un son aigu, une frappe à plat qui produira un son net, etc.
C'est pourquoi, dans le tennis sourds, nous partons toujours "en retard" ou en "décalé". Nous essayons de compenser en étant davantage concentré avec la vue mais la conséquence est que nous nous fatiguons plus rapidement lors d'un match à force de combler le sens en moins.
L'autre différence est la gestion de la communication lors des doubles car nous ne pouvons pas nous entendre entre partenaires, je dis bien "entendre", le sens ! Ainsi nous communiquons par signes ou improvisations. Parfois cela fonctionne parfois non, on élabore des petites stratégies au préalable et nous essayons de nous connaître le ou la partenaire et moi afin d'avoir des automatismes.
Aussi au niveau de l'arbitrage, l'arbitre peut difficilement se faire comprendre au niveau verbal mais il s'adapte avec des signes avec ses mains, comme les balles fautes, bonnes, les scores. Quand il doit interrompre le jeu sur un let non entendu par les joueurs par exemple, il lance une balle rouge, que les deux joueurs voient, sur le terrain, afin de stopper le jeu.
Vous êtes président du club et joueur, c'est un duo original ! Qu'est-ce que votre fonction de dirigeant vous apporte au quotidien ?
Je confirme que c'est un duo original ! Mais c'est tellement enrichissant... Je suis président depuis peu, bientôt deux ans. Mais depuis mes 15 ans, j'ai aidé mon ancien coach à assurer les cours de tennis avec les petits. Il m'a proposé d'être initiateur et m'a formé. C'est une expérience qui m'a fait énormément grandir et prendre confiance en moi.
Après avoir arrêté pendant quelques années le tennis pour faire des études, j'ai réintégré le club où j'ai commencé de fil en aiguille à aider de nouveau le moniteur à assurer ses cours, puis aider le club pour le tournoi estival annuel avant d'intégrer le bureau pendant un an. Par la suite, j'ai pris le poste de secrétaire général pendant deux ans avant de passer président.
C'est une manière pour moi de rendre ce que le club m'a donné durant mes jeunes années car je n'oublie pas que c'est du bénévolat et que les investissements humains n'ont pas de prix !
De plus, le bénévolat est quelque chose d'hyper-enrichissant tant au niveau de la relation humaine que la gestion d'un club de tennis, j'en apprend tout les jours et dans tous les domaines comme la gestion financière, la gestion sportive, la gestion humaine, le management mais aussi l'autre monnaie de la pièce, les problématiques etc.
C'est hyper-stimulant même si cela prend beaucoup d'énergie et de temps, ce qui n'est pas vraiment compatible avec les exigences lié à l'EDF et le sport de haut niveau mais on se débrouille comme on peut, j'ai un emploi du temps digne d'un ministre !
Par chance, j'ai une petite équipe dirigeante avec un vice-président, des jeunes et des un peu moins jeunes au top ! Dans tous les cas, c'est une belle expérience qui me servira plus tard, peut-être à ouvrir des portes, qui sait ?
Est-ce que votre handicap modifie votre façon d'être dirigeant ?
Chaque dirigeant fonctionne à sa manière, selon ce qu'il veut transmettre au club, la direction qu'il veut faire prendre. C'est un travail d'équipe car il est accompagné par les membres du bureau et c'est aussi un travail de fourmi pour pouvoir mettre en place des projets, en plus d'assurer la gestion du club.
Me concernant, je pense que mon atout c'est l'empathie ce qui peux me servir comme me desservir. Je peux comprendre les points de vue de chacun mais il est impossible de satisfaire tout le monde donc il faut parfois trancher.
Sinon de manière générale, mon handicap ne modifie pas vraiment pas façon d'être dirigeant. Je gère à ma manière et dans la voie que je souhaite pour le Tennis Club Urt, c'est-à-dire un club familial et dynamique !
D'une manière générale, quelles pourraient être les initiatives pour développer encore plus le tennis sourds ?
Selon moi, le plus grand axe d'amélioration pour le tennis sourds est la communication. Pas seulement envers les licenciés mais aussi envers le grand public.
En effet, j'ai beau être dans le tennis depuis une dizaine d'années, je n'en n'avais jamais entendu parler jusqu'à ce que je décide de passer, de ma propre initiative, la formation d'éducateur de tennis en 2022. J'apprends durant cette formation qu'il existe un tennis sourds au même titre que le tennis fauteuil que je pensais connaître comme seule discipline du paratennis, avec une équipe de France, un rassemblement annuel organisé à Paris sous forme de Masters, etc...
Deux ans après, alors que je suis maintenant dirigeant, je trouve que la communication est encore trop peu présente, d'autant plus que la surdité est un handicap qui touche un grand nombre de personnes à des degrés divers. Près d'un adulte sur 4 serait touché par la surdité en France.
Ensuite, il faudrait que les acteurs de l'enseignement du tennis comme les moniteurs de tennis soient sensibilisés, formés, dans le cadre de leur formation au paratennis. Lorsqu'ils ont des enfants comme des adultes atteints de surdité dans les clubs où ils enseignent, il faudrait alors qu'ils fassent connaître l'existence de la discipline de tennis sourds sous l'égide de la FFT.
La même chose est valable pour les dirigeants de club de tennis. Ils doivent d'abord être informés et sensibilisés afin de pouvoir à leur tour informer les personnes concernées de la discipline tennis sourd et malentendants. Par la suite, avec l'accord de ces personnes, on pourrait imaginer un référencement par exemple lors de la saisie des licences afin d'intégrer les joueuses et les joueurs dans cette discipline tennis sourds encore trop méconnue.