"Toujours donner leur chance aux femmes et in fine choisir la meilleure personne"
8 mars 2021
A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous donnons la parole à Amélie Oudéa-Castéra, la toute nouvelle Directrice Générale de la FFT.
Amélie Oudéa-Castéra partage dans cette interview son expérience d'ancienne sportive de haut niveau et évoque la place de la femme dans le tennis français et au sein de la FFT.
Amélie Oudéa-Castéra a déjà plusieurs vies. Championne de France des moins de 14 ans puis des moins de 16 ans, championne de l’Orange Bowl minimes, demi-finaliste de trois des tournois du Grand Chelem Juniors, ancienne 18e française et 251e joueuse mondiale, elle a ensuite choisi la voie des études (Sciences Po, ESSEC, maîtrise de droit, ENA) puis celle d’une vie professionnelle qui l’a menée à la Cour des Comptes, au Groupe AXA, puis au Groupe Carrefour.
Nommée Directrice Générale de la FFT vendredi 5 mars, Amélie Oudéa-Castéra revient à ses premiers amours, à ce qui est "sa vie", comme elle le dit elle-même. Entretien avec une "DG" qui évoque des souvenirs, mais qui, surtout, se projette et partage sa vision d’un sport et d’une Fédération où la question des femmes n’est, on s’en doute, pas anecdotique.
© FFT
Amélie Castéra aux championnats de France 15-16 ans en 1993.
Revenons d’abord sur votre carrière de joueuse. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
Avant tout, il faut savoir que je suis à la fois une enfant d’un club, l’Alsacienne Lorraine de Paris, dans le Val-de-Marne, au Perreux, et une enfant des structures fédérales. Le club, d’abord: c’était un petit club magnifique sur les bords de Marne, tout près de la maison de mes grands-parents, et il a été ma maison de campagne, ma joie de vivre de toutes mes premières années d’enfance.
Les structures fédérales ensuite: j’ai fait partie d’une expérimentation consistant à faire venir au CNE deux jeunes joueuses -Anne-Gaëlle Sidot et moi-, en nous faisant suivre des horaires aménagés au Lycée La Fontaine, là où le reste des joueuses de ma génération, les Emilie Loit, Amélie Mauresmo, Nathalie Dechy, étaient plus côté INSEP. De mes 13 ans à l’âge de 17 ans, je me suis entraînée au CNE, avec des entraîneurs comme Patrick Favière, Lionel Faugère et Jean-Luc Cotard. C’est pour cela que les lieux sur lesquels je reviens aujourd’hui, c’est ma vie, en fait!
Y a-t-il des victoires ou des moments qui vous ont plus marquée que d’autres?
Un de mes "faits de gloire", c’est que j’ai par exemple toujours battu Amélie (Mauresmo) chez les jeunes. J’ai gagné trois fois sur trois contre elle, dont une fois en finale des Championnats de France cadettes, en 1994. Il y a aussi eu la victoire à l’Orange Bowl, que je gagne en 1992, et qui est mon plus beau souvenir de tennis, parce que c’était la première fois de ma vie que j’allais aux Etats-Unis et c’était la première fois de leur vie que mes parents allaient aux Etats-Unis. Ils étaient comme des fous, on découvrait Miami ensemble, c’était le rêve américain. Je suis arrivée là-bas, je me suis dit: “je suis tellement gâtée, je suis tellement heureuse, qu’il faut que je gagne!“
Le titre à l'Orange Bowl. Le "plus beau souvenir de tennis" d'Amélie Oudéa-Castéra.
Vous avez aussi connu de belles aventures en Équipe de France.
J’ai des souvenirs extraordinaires en équipe de France. C’est pour cela que pour moi, c’est un sujet majeur. Il y a un goût de l’équipe, il y a un goût de représenter le drapeau, de le porter sur sa chemise: c’est quelque chose qui pour moi est absolument fondateur, exceptionnel et très, très unique. J’ai été championne d’Europe par équipes en 1993 avec Emmanuelle Curutchet et Jean-Luc Cotard en tant que coach, en France, à Epinal, et en tout, j’ai été sélectionnée une trentaine de fois : chez les cadettes, on a été jouer les Championnats du monde en Nouvelle-Zélande, et l’année suivante en Arizona…
Il y a également des souvenirs marquants, en individuel, avant que vous ne choisissiez la voie des études, en 1996.
Les deux derniers souvenirs les plus intenses que j’ai, c’est le fait d’avoir mené 6/3, 2-1, 30-15 contre Martina Hingis en demi-finale des juniors à Wimbledon en 1994, même si j’ai fini par perdre en 3 sets, et le fait que, quand j’ai eu une wild card dans le grand tableau final pour la première fois à "Roland", en 1994 également, j’ai eu la chance de participer à l’inauguration du court Suzanne Lenglen. J’ai figuré sur une programmation où je faisais suite à Pete Sampras, Mary Pierce et Henri Leconte. J’étais le 4e match programmé sur le Lenglen, le jour de l’inauguration, et c'était un sentiment de rêve, de fierté.
J’ajouterais, sur le plan de l’intime, que c’est également grâce au tennis que j’ai rencontré mon mari, et vous comprendrez que du coup, le tennis est vraiment le fil rouge d’une vie pour moi. Ça dépasse quelques années de sport de haut niveau. En fait, c’est mon identité, c’est ma force, c’est mon refuge quand ça va moins bien et c’est toute une vie. C’est super identitaire.
© Christophe Guibbaud/FFT
Justement, avec le recul, toutes ces belles expériences, à quel point vous ont-elles aidée pour prendre et assumer vos hautes responsabilités professionnelles ?
Je n’aurais pas pu être une sportive de haut niveau si je n’avais pas eu ce caractère très exigeant avec moi-même, très perfectionniste, très dans le détail des choses. En même temps, le fait de m’engager dans cette carrière sportive a renforcé tout ça, m’a donné le goût et l’habitude de l’effort, du dépassement de soi, de la gestion de mes émotions.
À 17-18 ans, j’ai vécu des moments difficiles sur le circuit, parce qu’il y avait beaucoup de solitude, parce que c’était me déraciner d’une vie académique, au lycée, que j’aimais, parce que c’était passer beaucoup de temps dans des aéroports, des gares, des hôtels… Ce sont aussi des années où j’ai pas mal douté, car moi qui avais toujours été très, très en avance sur ma génération, je commençais à être rattrapée par les Amélie Cocheteux, les Amélie Mauresmo et d’autres joueuses qui commençaient à bien progresser comme Nathalie Dechy.
J’ai un peu perdu pied dans ces années 1994-95, et début 1996, j’étais à l’Open d’Australie, et là je sentais qu’il fallait que j’arrête parce que j’étais malheureuse. Pardon de ce détour, encore, par ma vie sportive, mais tout cela pour dire que quand je suis arrivée dans le monde de l’entreprise, à la fois toutes les valeurs et l’apprentissage du monde du sport m’avaient énormément aidée, façonnée, construite, fortifiée, et en même temps, au tout début, j’ai dû composer avec le fait que dans l’entreprise, vous êtes avec une grande variété de gens, d’hommes, de femmes, de jeunes, de personnes plus seniors, qui n’ont pas toutes la projection d’un champion de haut niveau.
J’ai dû apprendre à “manager“ de très larges collectifs, avec des gens aux personnalités, aux backgrounds, et aux motivations hétérogènes. Cela a été une première chose.
Quels autres enseignements avez-vous tiré de ce passé de sportive de haut niveau, transposé dans l’entreprise ?
Le deuxième grand apprentissage que j’ai dû faire, c’est qu’il y a aussi des choses à moduler, voire à corriger, quand on est sportif de haut niveau dans l’entreprise. Au début par exemple, chaque vendredi soir où je terminais, disons, vers 20h, c’est comme si je me retrouvais au tie-break du 3e set et que je venais de mouiller la chemise à fond pendant toute une semaine. Alors que quand vous êtes dans des problématiques d’entreprise sur du management long, il faut savoir ancrer les projets dans la durée et vous ne pouvez pas tout gérer en sprint, sinon vous vous épuisez et vous épuisez les gens autour de vous.
Il faut ancrer un effort beaucoup plus dans la durée, en admettant qu’il y ait des moments d’un peu plus basse pression, que l’on n’est pas des machines, qu’il y a des moments où l’on a moins la capacité d’avancer, des moments où l’on doute un peu plus. Cela fait complètement partie de la vraie vie, et il ne faut pas s’en alarmer.
Que représente cette nomination en tant que femme, parce que c’est finalement encore rare, une Directrice Générale dans une grande Fédération ?
Ce que je trouve formidable, finalement, dans le binôme avec Gilles (Moretton), c’est que ce soit un homme à la fonction présidentielle, par construction un peu plus "high level" même si elle porte les impulsions politiques, qui ait choisi une femme pour la fonction exécutive, de direction au quotidien de la maison. Je trouve que c’est chouette. Et je sais que nos tempéraments seront super complémentaires, dans un contexte où nous partageons la même vision de la façon dont notre sport doit évoluer, se renouveler.
Sur le sujet de la féminisation, mon exigence, ma discipline, c’est de toujours donner leur chance aux femmes, mais je ne suis pas une ayatollah de la féminisation. Je considère que, d’abord et avant tout, c’est le mérite et la compétence qui comptent et derrière cette notion-là, je mets vraiment deux choses au même niveau, vraiment sur un pied d’égalité : la compétence technique et l’attitude humaine, relationnelle.
Je suis vraiment sur cette exigence sur le fond et la recherche de collaborateurs, d’équipes, qui soient dans la bienveillance les uns avec les autres, qui soient transparents, qui disent ce qu’ils font, qui font ce qu’ils disent, et qui savent créer de l’intelligence collective entre eux.
Je n’hésiterai jamais à me séparer de quelqu’un qui est très bon techniquement mais qui est ingérable dans une équipe et à l’inverse, je ne me contenterai jamais de quelqu’un qui est juste un peu « le G.O. de service » de l’équipe mais qui ne bosse pas sur le fond, qui ne cherche pas à vraiment trouver les solutions, à mouiller la chemise au service du collectif, au service de l’institution.
Il y a une grande tradition de championnes à la FFT, à quel point dans le programme de Gilles Moretton et dans votre esprit, allez-vous chercher encore à développer ou à entretenir cela ?
Je suis super contente qu’on ait une Emilie Loit (au sein du Pôle PCTD, ndlr), qu’on ait une Anne-Gaëlle Sidot (au sein du Pôle MDE, ndlr), qui mettent leur connaissance de notre sport au service de la Fédération, une Nathalie Dechy, sur l’organisation du tournoi. Moi ça me fait sincèrement plaisir que ces jeunes femmes soient au service de leur fédération. Amélie Mauresmo, c’est une amie, c’est quelqu’un avec qui j’ai grandi, on a fait plein de choses ensemble et on a toujours gardé des liens après que j’ai arrêté professionnellement le tennis. Et des femmes qui ont à apporter des choses sur le jeu, il y en a vraiment plusieurs.
Gilles a reçu Mary Pierce la semaine dernière ; des femmes comme elles peuvent apporter beaucoup aux plus jeunes. Il peut y en avoir d’autres à l’avenir, on va faire ça de manière harmonieuse, et on ne sera pas à compter à l’unité près, “est-ce que j’ai bien une femme en face d’un homme ?“, etc. La clé, ce n’est pas le nombre, c’est l’impact, la valeur créée.
© Corinne Dubreuil/FFT
L'équipe de France championne du monde. De g. à dr.: Kristina Mladenovic, Alizé Cornet, Pauline Parmentier, Caroline Garcia et Fiona Ferro.
Comment résumer votre approche de cette question ?
Il y a quatre messages. Premièrement : oui, continuons à bien mobiliser les plus belles expertises féminines du tennis français. Ensuite, au niveau des élu.e.s, il y a la satisfaction que la gouvernance actuelle sécurise déjà cette parité, ce que je trouve formidable.
Troisième élément : nous avons un gros travail à effectuer autour des femmes dirigeantes, puisque actuellement il n’y a qu’une seule femme Présidente de ligue. On n’a que 20% de femmes dirigeantes de clubs et pour faire changer cela, ça suppose de beaucoup mieux les épauler, parce que les charges liées au bénévolat sont très, très lourdes sur leurs épaules, sur les épaules des bénévoles en général, mais des femmes en particulier, parce qu’elles ont déjà, souvent, une implication plus forte dans l’éducation des enfants et le management du foyer. Du coup, c’est compliqué.
Et le quatrième élément, c’est ce qui concerne les salarié.e.s de la Fédération. Cette volonté que j’aurai dans toutes les promotions, dans tous les recrutements, de toujours sécuriser qu’il y a toujours au moins une femme qui est considérée. Mais c’est compétence et attitude qui toujours primeront sur le seul fait d’être une femme.
© Pierre Froger/FFT
Concernant la pratique et les clubs, on sait que la difficulté actuelle est de fidéliser les femmes dans un club. Que pouvez-vous apporter, avec votre expérience, sur cette question ?
Plus encore que les hommes, les femmes ont besoin de convivialité pour avoir envie de passer du temps dans les clubs. Moi, mes plus beaux souvenirs de club, ce sont les matches d’équipes. J’ai un groupe d’amies qui date de l’époque de mes matches en club: on est restées hyper liées et j’ai appris le double avec elles.
© FFT / Pierre Froger
Objectif futur : partage et convivialité pour mieux fidéliser la présence des femmes dans les clubs.
Elles étaient à l’époque mieux classées que moi, je grimpais chaque année, mais au début, quand j’ai démarré dans l’équipe, je devais être à 15/2, puis à 3/6, puis à -2/6, puis à -15, puis à un moment j’ai quitté le club pour aller ailleurs, mais pendant toutes ces années de progression, elles étaient mes modèles. J’avais en plus ma grande sœur qui était à 0, elle avait 4 ans de plus que moi donc elle me tirait toujours vers le haut, j’avais toujours l’aspiration un jour de la battre.
Je pense que la convivialité, les matches par équipes, les formules qui ont été expérimentées comme le "tie-break des copines", tout ce que l’on peut créer autour de l’événementiel dans les clubs, eh bien les femmes sont encore plus réceptives à ces aspects-là. Le fait d’avoir des cours de gym, du yoga, du Pilates dans nos clubs…
Je crois beaucoup à l’approche multisports pour faire que les gens recollent au tennis. Moi je le vois, mon chemin a été celui-là. Je suis une grande adepte de yoga et de Pilates. Ça m’a beaucoup servi pour retrouver plus de plaisir dans mon jeu, retrouver de l’ancrage, retrouver plus de maîtrise musculaire et tout ça.
Je crois à tous ces leviers très concrets et je suis sûre qu’on peut arriver, en sortie de crise sanitaire parce que pour l’instant c’est trop difficile, à remettre de l’ambiance, de la joie de vivre dans nos clubs et du partage.
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