Dans ce nouvel opus de "Conseils aux compétiteurs", nous abordons la question de la grossesse, qui continue de susciter beaucoup d’interrogations auprès de nombreuses pratiquantes.
Tennis et grossesse. Voilà bien un sujet qui a énormément évolué ces dernières années, tant grâce aux avancées de la médecine qu’au concours d’immenses championnes comme Serena Williams qui, en remportant l’Open d’Australie 2017 en étant enceinte de deux mois, a largement contribué à briser une barrière. Depuis, une véritable vague de mamans-joueuses a déferlé sur le circuit WTA, à l’image de Naomi Osaka (photo), Caroline Wozniacki, Victoria Azarenka ou Elina Svitolina, pour ne citer que les plus connues. Les joueuses n’hésitent plus, ou beaucoup moins qu’avant, à mettre entre parenthèses leur carrière professionnelle pour investir leur rôle de femme, et de mère.
Néanmoins, la grossesse continue de susciter de nombreuses interrogations auprès des joueuses, de tout niveau, et c’est bien normal vu le chamboulement qu’elle représente, aussi bien sur le plan physiologique que psychologique. Pour répondre le plus exhaustivement possible aux questions fréquentes que se posent les (futures) mamans-joueuses, nous avons fait appel à un trio d’experts : Anne Gires, médecin coordinateur national de la FFT, Eric Vandendaele, médecin du sport fédéral, et Carole Maître, gynécologue à l’INSEP.
Je tombe enceinte, est-il conseillé d’arrêter le tennis ?
Absolument pas. Tout à l’inverse, il est même conseillé de le poursuivre. "Le discours médical s’est beaucoup transformé là-dessus ces dernières années, fait d’ailleurs remarquer Anne Gires. Avant, on nous recommandait la plus grande prudence. Aujourd’hui, l’activité sportive est plus que recommandée, car toutes les études en ont montré les bénéfices, non seulement pour la femme mais aussi pour le bébé à venir." "L’activité sportive entraîne une forte diminution des risques d’hypertension artérielle, de diabète gestationnel et même de dépression post-partum", abonde Carole Maître.
Le tennis, même s’il engendre des contraintes musculaires et tendineuses, n’est pas considéré comme un sport à risques à proprement parler comme peuvent l’être, par exemple, des sports de contacts ou des sports extrêmes. On évoque ici bien sûr le cas – et c’est valable pour l’ensemble de cet article – d’une grossesse sans pathologie associée. "Au moindre signal, il faut arrêter et consulter rapidement, rappelle Anne Gires. Le plus important, c’est d’être toujours à l’écoute de son corps et de ses sensations, c’est une priorité chez la femme enceinte."
Jusqu’à quel stade de la grossesse puis-je continuer à jouer normalement ?
Durant tout le premier trimestre. La grossesse, on le sait, se décompose en trois phases trimestrielles bien distinctes. "Le premier trimestre, les femmes peuvent continuer à jouer normalement, en compétition, sans aucun problème : cela n’augmente pas le risque de fausse couche spontanée", assure Eric Vandendaele. La seule limite est liée à l’inconfort que ressentent souvent certaines femmes pendant ce premier trimestre : nausées, douleurs à la poitrine, sommeil altéré, etc., qui peuvent ainsi nécessiter de modérer l’intensité. Mais que les choses soient claires : toute fausse couche survenant pendant cette phase ne serait pas liée à la pratique du tennis.
A partir du deuxième trimestre, les choses changent. "Il y a plus d’apports à donner au bébé et le déplacement commence à devenir plus difficile : la joueuse, en général, arrêtera d’elle-même la compétition à partir du quatrième mois : à partir de là, cela va devenir du tennis adapté", avertit Anne Gires.
D’autant qu’au-delà de la gêne liée à la prise de poids et au changement corporel, le risque de blessure devient accru, comme le rappelle Carole Maître : "La grossesse entraîne peu à peu un déplacement du centre de gravité, ce qui vient impacter l’équilibre ainsi que la répartition des forces au niveau des hanches et des genoux ; par ailleurs, elle entraîne une plus grande laxité ligamentaire, donc amoindrit la stabilité et accroît le risque d’entorse.'
Au troisième trimestre, il sera plutôt conseillé de s’orienter vers des sports sans impact comme la natation, le vélo elliptique ou la gymnastique douce. Ce qui ne signifie en rien que le tennis est proscrit, mais il devra se faire dans un cadre adapté, par périodes raccourcies, en limitant les déplacements et sans forcer musculairement. Le tout, bien sûr, dans la plus grande rigueur au niveau du suivi médical.
Comment gérer au mieux la période du post-partum ?
En l’anticipant au maximum, déjà. Et c’est justement par la poursuite d’une activité sportive, le tennis mais aussi un travail de renforcement associé, que la joueuse augmentera sensiblement ses chances de récupérer plus vite après l’accouchement.
"Il y a un gros travail à faire sur le plan musculaire, notamment au niveau abdominal et de tous les muscles qui maintiennent le périnée, conseille Eric Vandedaele. Ce travail doit se faire en amont de l’accouchement. Ensuite, après l’accouchement, la rééducation périnéale est indispensable."
D’autant plus indispensable dans un sport comme le tennis qui sollicite beaucoup le périnée "du fait des déplacements, de la pression intra-abdominale sur certains coups, des sauts et des reprises d’appui", abonde Carole Maître. Sans parler d’un inconfort lié aux fuites urinaires, là encore fortement prévenues avec un travail du périnée, ce muscle interne qui sert de soutien aux organes pelviens et intra-abdominaux.
Combien de temps après l’accouchement vais-je pouvoir reprendre ?
Entre six et huit semaines (dans le cadre d’un accouchement sans césarienne), après, au préalable, une reprise progressive de l’activité physique par de la marche, de la natation et du renforcement musculaire en respectant le périnée. Ensuite, il faudra compter environ six mois pour une reprise de la compétition. Bien entendu, il s’agit d’une estimation moyenne. La vérité varie bien souvent au cas par cas. "La pratique d’une activité physique pendant la grossesse permettra une meilleure récupération après l’accouchement, rappelle Anne Gires. Il faut faire un reconditionnement progressif jusqu’à la reprise du tennis qui va donc se faire après environ deux mois, de manière très progressive et toujours sur avis médical."
La reprise de la compétition, elle, ne pourra se faire qu’après une complète rééducation du périnée "qui nécessite au minimum une dizaine de séances, soit généralement environ cinq semaines" prescrit Carole Maître. En rajoutant le délai de remise en forme que chaque joueuse estimera nécessaire avant de faire son retour, celui-ci se fera au minimum au bout de quatre mois, et plus raisonnablement au bout de six mois.
Rajoutons enfin que l’allaitement reste possible, avec une bonne organisation et du matériel adapté. L’ocytocine sécrétée pendant l’allaitement peut d’ailleurs être un facteur réducteur de stress.
© Corinne Dubreuil / FFT
Serena Williams avait remporté l'Open d'Australie 2017 en étant enceinte de deux mois.
Vais-je revenir aussi forte après une grossesse ?
Sans la moindre ambiguïté : oui. "Beaucoup de championnes, et pas que dans le tennis, ont prouvé qu’on retrouvait le même niveau physique qu’avant un accouchement. La grossesse n’est pas une pathologie", assure Eric Vandendaele.
Effectivement, de Margaret Court en passant par Kim Clijsters ou Evonne Goolagong, les exemples ne manquent pas de joueuses qui ont triomphé en Grand Chelem après être devenues maman (Serena a disputé quatre finales en tant que maman sans succès). Et l’on parle là de tennis de haut niveau, avec des contraintes encore bien supérieures.
En dehors de critères extra-sportifs – une organisation familiale chamboulée, des priorités qui peuvent changer… -, toutes les observations l’ont prouvé : la grossesse n’entraîne aucune altération physique, sur quels que plans que ce soit. Ce serait même plutôt l’inverse, selon Carole Maître : "Des études ont montré qu’il y avait un gain de performance après la grossesse avec une amélioration de la VO2 Max (NDLR : la capacité maximale d’oxygène consommée). Ce phénomène est lié à une augmentation du débit cardiaque d’environ 30%, du fait des hormones et du volume plasmatique du bébé. Les effets peuvent perdurer jusqu’à un an après la grossesse."
Les choses sont donc très claires : en dehors de critères autres que l’aspect purement physique – une organisation familiale chamboulée, des priorités qui peuvent changer… -, toutes les observations convergent vers le même résultat : la grossesse ne vous rendra pas moins forte.
Ce serait même plutôt l’inverse, selon certaines études citées par Carole Maître : "Ces études ont montré qu’il y avait un gain de performance après la grossesse avec une amélioration de la VO2 Max (NDLR : la capacité maximale d’oxygène consommée). Ce phénomène est lié à une augmentation du débit cardiaque d’environ 30%, du fait des hormones et du volume plasmatique du bébé. Les effets peuvent perdurer jusqu’à un an après la grossesse."
Conséquence directe : une plus grande aisance respiratoire pour la femme à l’effort. Donc une adaptabilité physiologique d’autant plus naturelle à reprendre son sport favori.
Vais-je bénéficier d’une protection en cas d’absence pour maternité ?
Tout à fait. L’article 18 Ter des règlements sportifs de la FFT prévoit un certain nombre de mesures de classement bloqué, dont la grossesse fait partie. Selon cet article, les joueuses licenciées sur l’année sportive en cours qui, en raison d’une maternité, doivent arrêter la compétition, peuvent bénéficier d’un blocage de leur classement pendant 18 mois à partir du moment où elles choisissent d’arrêter. Et ce, quel que soit leur classement.
Le programme Tennis et maternité mis en place par la FFT
Sur le même sujet
"Jour de match" : Épisode 1 : le tennis et les matches par équipes
20 décembre 2024
Une année en bleu, épisode 10 : Humbert, une saison d'enfer
20 décembre 2024
Une année en bleu, épisode 9 : Arthur Fils, la confirmation d'un pur talent
19 décembre 2024