Olivier Béranger : "Le bien-être amène à la performance"
3 février 2022
Olivier Béranger est responsable du pôle préparation mentale à la DTN depuis l’année dernière. Touche-à-tout, il détaille sa vision, ses valeurs, et pourquoi ce qu'on appelle le "mental" est si important dans l'évolution des joueurs.
Depuis plusieurs mois, vous êtes à la tête d'un pôle préparation mentale à la DTN. Pouvez-vous expliquer comment vous êtes arrivé jusqu'à la FFT ?
Il serait plus juste de dire que je suis "réarrivé" à la Fédé. J’ai été entraîneur de tennis en 2000. Durant le dernier tournoi de Roland-Garros, j’ai eu un appel d’Amélie Oudéa-Castéra qui m’a posé des questions sur ma vision d'un pôle de préparation mentale.
Elle m’a demandé d’échanger sur le sujet avec Nicolas Escudé, avec qui on a passé plusieurs heures au téléphone. II a proposé de se voir rapidement. J’ai alors rencontré Amélie, Nicolas et Gilles Moretton. Tout est parti de là.
Vous dites que vous n’aimez pas le terme de préparation mentale. Pourquoi ?
Tous ceux qui travaillent dans ce secteur n’aiment pas ce terme ! Si on part à la racine, on n’a pourtant pas trouvé mieux. Le mot mental vient du latin mens, mentis, qui veut dire raison, intelligence. Et se préparer, c’est se "parer avant", se doter d’outils pour aiguiser son esprit.
On réfléchit cependant à trouver une autre appellation car le mental est un mot fourre-tout. Tout le monde a un cerveau et réfléchit, le mental est donc partout. Est-ce qu’on parle d’approche psychologique, philosophique ? Suivant les cas et les secteurs d’intervention, on ne parle pas toujours de la même chose. Je préfère dire qu’on essaye de donner du sens.
Derrière la préparation mentale, il y a des métiers différents. Des préparateurs mentaux, qui sont des gens formés à des outils, mais aussi des sophrologues, des relaxologues, des psychologues du sport, des spécialistes d’hypnose, des psychanalystes, des psychiatres, des pédopsychiatres... On peut soit rester dans la préparation mentale pure et dure ou orienter vers d’autres disciplines, par rapport à la personnalité de l'athlète et son histoire.
Comment organisez-vous vos missions à la DTN ?
L’emploi du temps est interdépendant de la façon dont j’ai pensé la mission. Mes prédécesseurs étaient souvent seuls, alors que le domaine est très vaste. Je pense qu’une des choses qui a été appréciée par la FFT est que je ne sois pas psychologue ou pédopsychiatre. J’ai plusieurs formations en préparation mentale, dont sophrologue. Mais j’ai de suite proposé d’être entouré par une équipe avec des compétences différentes, en hypnose, psychologie, yoga, neurosciences.
En matière de psychologie, on ne peut pas imposer les choses, mais seulement proposer un éventail de possibilités, puis orienter éventuellement selon les besoins. Dans notre équipe d’une petite dizaine de personnes, il y a des sous-groupes avec certains dédiés vers le haut niveau, d’autres vers la formation de base des entraîneurs et joueurs en club, et d’autres qui s’occupent de l’animation des territoires.
À la FFT, je travaille d'abord avec le haut niveau. Je suis donc une semaine par mois au CNE et une au Creps. À Poitiers, on effectue un travail de fond avec les joueurs, via des séances collectives afin de faire passer des valeurs et de sensibiliser à des croyances positives plutôt que négatives.
Le Creps en infos et en images
Nous effectuons de la préparation mentale intégrée, sur le terrain, en travaillant sur l'importance des routines, des sensations, sur le souffle, le son... Par ailleurs, je vois les 9 joueurs du pôle en individuel. Je suis en relation avec la psychologue du Creps. Quand ce n’est pas mon domaine, je lui demande conseil ou de prendre le relai.
Le reste du temps, je travaille sur l’animation en territoire. Il y a un référent préparation mentale par ligue, voire par département. C’est un très beau et important chantier : il y a 18 ligues et j'ai eu beaucoup de référents au téléphone. Chaque ligue anime le domaine de la préparation mentale comme elle le souhaite. Cela dépend des élus, de la sensibilité des CTR sur le sujet, du budget et de leur capacité à trouver les bonnes personnes. Donc notre travail est d'orienter.
© FFT / Christophe Guibbaud
Olivier Béranger, en poste depuis le début de l'année.
La question de l'âge peut interpeller dans ce domaine. Peut-on vraiment parler de préparation mentale à des juniors ? A quel âge cette approche devient pertinente ?
C’est une question cruciale sur laquelle on s’interroge. Le Comex me l'a d'ailleurs posée. Je pense qu’à 10/12 ans, on ne doit pas parler de préparation mentale, car ce sont des années de formation, d’apprentissage, d’éducation au sens étymologique du terme : comment on se conduit à l’extérieur. Si à cet âge, on commence à instaurer des routines, de la sophrologie, de la visualisation, de la respiration, que fait-on à 18 ans ?
Il vaut mieux se poser la question de la façon dont les jeunes apprennent et du contenu de séance. Car ça aussi c’est du mental. Un enfant de 10 ans a une capacité d’attention qui excède rarement 10 minutes. Lui faire 25 minutes de gammes est contre-productif. Lui faire 5 exercices de 10 minutes sur une séance d’une heure aura plus d’impact. Il faut trouver la capacité à les intéresser, à maintenir leur fraîcheur, leur enthousiasme, leur motivation.
La base de la gestion émotionnelle, c’est la physiologie. Il est important de parler de choses simples : comment l’enfant dort, comment il mange, quelles sont ses valeurs de vie. On est très loin des choses comme "il faut être dans le combat". Non, ce sont des enfants et ce qui est primordial pour eux, c’est la notion de sécurité affective et émotionnelle. L’enfant doit être heureux d’aller en club, heureux de retrouver sa famille. C'est pourquoi il faut aussi informer les parents au maximum.
Vers 14 ans, les enfants commencent à se poser plus de questions et l’intervention d’un préparateur mental me semble davantage pertinente. On peut commencer à donner des outils sur le temps de jeu invisible. Sur un match d’1h30, il y a en effet 25 minutes de temps de jeu réel. Que fait-on pendant le reste ? Il est important de savoir bâtir un rituel, de respirer, de savoir quel langage corporel montrer, de gérer ses émotions.
Au-delà de 15 ans, c’est bien qu’ils soient accompagnés sur le plan mental vers la haute performance, soit par des psychologues du sport, soit par des coachs formés à ce niveau. Car les coachs sont les premiers prépas physiques et mentaux des joueurs. Ils voyagent 10 mois sur 12 avec eux, ce sont eux qui font le relai. L’athlète doit être au centre du projet. Mais il est très important de bâtir un climat d'apprentissage implicite.
Je compare ce travail à une plante : le terreau doit être bien posé, dans une unité de vision, pour faire pousser la fleur. Il suffit d’une phrase malheureuse d’un ami, d’un agent, pour tout télescoper. L’idée est de réguler l'environnement. C’est pour cela qu’il me paraît malvenu de faire travailler des enfants avec ce type de vision.
Il semble compliqué d'appliquer les mêmes méthodes à tout le monde. Doit-on faire du cas par cas dans ce domaine mental ?
Je commence toujours par donner aux joueurs la citation d'Oscar Wilde : "Soyez vous-mêmes, les autres sont déjà pris". Quand je parle d’un climat d’apprentissage implicite, c’est tenir compte de la personnalité, de la singularité d’un individu.
En ce qui concerne le jeu invisible par exemple, tous les athlètes de haut niveau ont leur rituel. Il ne s’agit pas de faire faire à tout le monde la même chose. Djokovic, Nadal et Federer ont tous un rituel de service différent. Il est différent... mais ils en ont tous un. Ce n’est pas si difficile de donner des outils pour être capable de bâtir des petites habitudes qui favorisent la performance, en respectant la personnalité de chacun. De donner un cadre pour que l’enfant s’approprie naturellement les choses.
Avez-vous défini des priorités dans votre mission ?
Oui, de faire évoluer le regard, les mentalités. Je préfère le mot mentalité à mental d'ailleurs. Ce sont des métiers de l’ombre et tout se met en place petit à petit. Même si ce n’est pas si récent : les premières expérimentations dans le mental datent de 1898, les premières préparations mentales en sport de 1921. En France, on a pris plus de temps.
Il y a encore des gens en 2022 qui disent "j’y crois ou j’y crois pas", comme si on parlait de spiritualité ou de pensée magique. Il y a un vrai travail de communication. Sinon cela crée du repli sur soi, de la peur et les équipes ne travaillent plus ensemble. En gros, tout ce dont un athlète n’a pas besoin, lui qui a besoin de calme et de confiance en lui.
On réfléchit avec mon équipe à la communication sur notre métier et ses avantages en direction des entraîneurs et des prépas physiques. Car cela facilite la création de liens, de connexions. Je pense à Arthur Cazaux qui est suivi mentalement par son préparateur mental, mais qui sait que j’ai un parcours d’apprenti acteur - quand j’étais très jeune ! - et donc je lui donne un cours de théâtre de temps en temps. Il s’ouvre au monde, ça lui fait du bien.
Il y a un travail de sape. On est en train de poser des cadres avec des citations inspirantes au CNE. C’est ce que font les universités américaines d’ailleurs. Le plus important est de faire évoluer les mentalités. Le tennis, c’est technique, tactique, physique, et mental. Et pour savoir où je veux aller, il faut savoir d’où je viens, qui je suis, quelles sont mes forces.
Je suis plus intéressé par mettre en place une stratégie plutôt que de me reposer sur les lauriers à la moindre victoire importante en juniors.
Il y a beaucoup de bons joueurs en France, ils sont tous très bien entourés, et fatalement les résultats sont là. Mais plus le travail est sain, plus l’information circule, plus il y aura de la performance. C’est le bonheur qui mène à la performance, pas l’inverse. Il y a eu un stage des entraîneurs en septembre et ce discours a été très bien accueilli.
Yannick Noah nous a fait l’amitié de nous accrocher quelques jours. Il est venu au premier trimestre, il reviendra en mars. Il fait de la "parlotte" comme il dit, avec les parents, les joueurs. Il est convaincu de l’importance du bonheur. Proposer de la visualisation, de la relaxation, de la méditation, aller voir un psychologue… ce ne sont pas des gros mots.
Un joueur comme Daniil Medvedev a visiblement énormément progressé en entamant un processus d'accompagnement sur le plan mental. Aujourd’hui, un athlète de haut niveau peut-il se passer de préparation mentale ?
Non, c’est incontournable. Je ne dirais pas "il faut", car il y a toujours des contre-exemples. Toni Nadal dit par exemple que c’est lui qui a toujours géré la partie liée au mental avec son neveu. Le plus important est de trouver une structure qui soit performante et qui convienne aux joueurs. C’est assez simple : est-ce que les vitesses de progression sont rapides ?
Très souvent, dans le haut niveau, on jette un voile pour cacher ce qu’il se fait à l’intérieur. Dans tous les autres sports, au haut niveau, on ne se pose même pas la question de l’intérêt de travailler avec une cellule psychologique, c'est une évidence.
En parlant de la préparatrice mentale de Medvedev, Francisca Dauzet, j’ai souhaité tout de suite lui parler. Je pense qu’il faut s’inspirer des processus qui marchent. On s’est rapprochés d’elle très vite et Francisca nous fait l’amitié de faire partie de notre équipe à la DTN.
La dimension psychologique semble encore plus fondamentale au tennis que dans d'autres sports…
Tu es seul en match, tu es souvent seul la journée, tu changes de pays toutes les semaines, tu changes d’environnement, de fuseaux horaires, de climat... On peut vite devenir paumé. Les chauffeurs, les juges arbitres, les concurrents, les agents... tout a une influence sur la performance d'un joueur.
On voit parfois certains joueurs qui n’ont pas de coach pendant quelques mois. Ce sont des étapes nécessaires, ils ont besoin de respirer, de se reconstruire, d’entendre un autre discours.
Mais le tennis s'est tellement professionnalisé... Chez les garçons, quasiment tout le monde sert à plus de 200 km/h très régulièrement. Je ne vois pas comment on peut aller vers le haut niveau sans prendre tous les détails en compte.
Allez-vous être amené à jouer un rôle pour les équipes de France ?
Les équipes de France sont intégrées à la DTN. Un stage de CTR est prévu en mars et les capitaines d’équipes sont conviés. Nicolas Escudé leur a expliqué que notre cellule est là en cas de besoin pour orienter sur telle ou telle personne.
Notre travail est de veiller à ce que tout se passe bien. Je respecte toutes les structures mises en place par les athlètes. Mais si un joueur a envie de changer quelque chose, nous sommes là pour aider, pour expliquer qu’il peut rencontrer d'autres experts que ceux qu'il connaît. Et que tout est ouvert.(Recueilli par Emmanuel Bringuier)
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