Le mot mensuel de la direction technique nationale est consacré cette fois au mental. La parole à Christophe Bernelle, le responsable du département à la FFT, ex joueur professionnel et médecin psychiatre.
Quelle feuille de route vous a été dressée par le directeur technique national Pierre Cherret ?
Je suis arrivé en poste le 1er janvier 2020. Ma mission s'articule autour de deux grands axes. Le premier axe, c'est faire progresser au niveau mental, au sens large, les jeunes pensionnaires du Centre National d'Entraînement de Roland-Garros et de Poitiers, avec un travail régulier. L'idée fondamentale est de leur permettre de s'épanouir dans le projet sportif qu'ils ont choisi et d’y prendre du plaisir. On sait que ce projet est forcément très exigeant sur le plan mental et psychologique. Il est donc important que les joueurs et joueuses comprennent que, comme on travaille son physique et son tennis, on doit travailler tous les jours son mental. On peut ainsi dire que je suis moi-même un entraîneur mental. Pour ce faire, j'ai des rendez-vous réguliers avec les joueurs et les joueuses, mais aussi avec leurs entraîneurs.Je suis le premier salarié à temps plein à s'occuper de ce domaine au sein de la FFT. Auparavant, mon prédécesseur était un prestataire. Cela fait une vraie différence de disponibilité et d'appartenance à l'équipe. J'ai ainsi pu voir un maximum de jeunes lors de la tournée d’été évoluer en match. En complément, le soutien et l’accompagnement des parents à tout moment est un versant de mon action.
Le deuxième axe, c'est le développement dans les territoires. Il y avait eu un début d'action avec la nomination d'un référent mental dans chaque ligue. Pendant le confinement nous avons multiplié les visioconférences. Le but est de mettre en place des actions structurées, basées sur un modèle commun. Il y a encore une disparité d'actions dans les ligues sur le sujet du mental, pour des raisons financières, mais pas seulement. Nous souhaitons donc développer le pôle mental dans toutes les ligues.
Parlons d'abord des territoires… Quelles sont ces actions communes que vous souhaitez mettre en place ?
Le référent dans chaque ligue existe. L'idée est de parvenir à proposer un programme selon les catégories d'âge. Les catégories sont les U7, U10 et U14. Pour les U7, nous travaillons en collaboration avec Valérie Albaret. Mon travail direct est davantage centré sur les deux autres catégories. Un exemple de ce que l'on veut leur permettre de travailler : l'apprentissage de la gestion des temps morts dans un match. On se rend compte que nos jeunes ne savent pas comment les utiliser, alors qu'ils sont nombreux, entre les points, aux changements de côté… Ils durent plusieurs secondes. Une frustration ou une colère peuvent être évacuées en une ou deux secondes.C'est normal. Nous ne sommes pas là pour former des robots. Mais le reste du temps peut être utilisé pour autre chose. Pour de la détente, de la respiration. L'apprentissage de la respiration peut aider à évacuer la tension pendant un match. Lors de ces temps d’inter-jeu, la visualisation, avant le service ou le retour notamment, ou encore le discours intérieur positif sont des éléments fondamentaux à utiliser et à maîtriser.
Nous souhaitons également à travers le travail sur le mental inculquer à ces jeunes le bon état d'esprit. Le bon état d'esprit, c'est déjà d'accepter le fait que la défaite n'est pas un drame. Bien sûr, on joue un match pour le gagner. Même quand on joue aux cartes c'est pour gagner, c'est tout à fait normal ! Être déçu d'une défaite, c'est logique, mais tirer des informations d'une défaite et pouvoir la relativiser est essentiel. Souvent, les jeunes sont trop touchés par la défaite. Un 50e mondial ne gagne qu'un match sur deux sur le grand circuit ! La défaite fait partie intégrante du tennis. Et il faut aussi éviter de se comparer à l'autre. Chaque joueur, chaque jeune est différent.
Quels programmes proposez-vous selon les catégories ? Quelles sont les différences ?
Les U14 sont amenés à voyager davantage. Avec les U10, on a mis en place des séances groupées pour travailler la respiration, la détente, pour leur parler d'état d'esprit, lors des rassemblements de ligues. Avec leurs aînés, le travail commence à être plus individuel. Il faut s'en donner les moyens. Idéalement, il faudrait que l'on arrive à proposer une séance individuelle hebdomadaire pour chaque jeune avec un professionnel, qu'il soit en tournoi ou en semaine d'entraînement. Cela permet déjà de savoir s'il se sent bien, s'il est épanoui et s’il éprouve du plaisir à jouer en compétition. Un travail mental régulier de l’athlète lui permet de guider et superviser son entraînement quotidien.On peut par exemple faire progresser quelqu'un mentalement par des exercices d'imagerie mentale. Ces choses-là se font en lien avec le style du joueur. La récurrence de ce travail est très importante. Dans le référentiel de la DTN pour les U14, il y a déjà deux séances de kiné par semaine. Il faut qu'on arrive à systématiser également les séances sur le mental.
Et pour les jeunes du CNE et de Poitiers ? Quel est votre travail auprès d'eux ?
Notre priorité est l'épanouissement du jeune, en lien avec les parents et les entraîneurs. Les parents ont tous mon numéro de téléphone ! Dans les séances, je les initie à la visualisation ou imagerie mentale (par exemple pour le retour de service, se voir anticiper le service et se donner une cible à atteindre), à l’importance du discours intérieur, à la mise en place de routines personnelles et à la méditation. A ce propos, sachez que ces techniques et exercices d’entraînement mental seront prochainement présentés sur FFT.TV. La méditation est une technique sur sa respiration et ses pensées tout à fait accessible, mais ce qui est dur c'est de le faire régulièrement. Des Andreescu, des Djokovic, ils en font depuis tout jeune 15 minutes chaque matin ! Ce n'est pas toujours facile pour un jeune, un adolescent, de comprendre l'importance de ce travail. Cette méditation peut leur permettre d'être à la fois détendu avant un match et de prendre un peu de recul tout en accroissant leur concentration et leur confiance en leurs possibilités. On travaille à gérer les pensées, qui inévitablement peuvent être négatives. Il faut pouvoir se recentrer sur des choses plus positives, sa tactique, son plan de jeu, ses forces. Et arriver à prendre du plaisir dans le combat que représente un match.
Mon modèle, ce sont les arts martiaux. Dans la méditation "boudhiste zen", un grand maître a une importante confiance en lui sans avoir un égo trop fort. Dans le tennis, le champion qui se rapproche le plus de ça est Rafael Nadal. Il a une énorme confiance en lui, mais il fait toujours profil bas avec beaucoup d’humilité. Il ne dira jamais "Roland-Garros, je vais le gagner facilement". Alors qu'il l'a gagné… 12 fois. Il est parfaitement lucide sur les différences minimes qui existent entre les joueurs d'un tournoi du Grand Chelem. S'il joue mal et que son adversaire est dans un grand jour, il peut perdre au premier tour, même à Roland-Garros. Il le sait et il l'accepte. Mais Nadal a bien sûr aussi conscience de ses grandes forces, ce qui nourrit sa confiance.
Bientôt des "tutos" sur FFT TV pour renforcer son mental !
L'épanouissement et la confiance en soi sont donc au cœur de votre travail ?
Absolument. Le tennis est un sport difficile. Le scénario d'un match peut être tellement cruel. Avec Pierre (Cherret), on est parfaitement d'accord pour faire de l'épanouissement de nos jeunes une priorité. Il faut aussi se donner du temps. Le mental, ça s'entraîne, et ça s'entraîne sur la durée. Je travaille aussi avec les joueurs professionnels, qui peuvent venir me voir s'ils le souhaitent. Mais la priorité de ma mission s'articule autour des jeunes. Et le message que j'essaie de leur faire passer se résume en trois mots : humilité, passion, travail.Il n’est pas étonnant que ça soit la devise du clan Nadal.Pour terminer, une de mes missions est aussi le lien avec le service médical avec qui je partage une vigilance sur l’intégrité morale, physique et sociale de nos joueuses et de nos joueurs. D’ailleurs, prochainement je vais suivre avec attention une étude menée à la demande du Dr Montalvan qui s’intitulera "les déterminants sociaux de la performance tennistique". Cette étude longitudinale (sur plusieurs années) évaluera le devenir de nos jeunes entraînés dans les ligues à partir de 10-11 ans avec comme ambition d’identifier les facteurs sociaux de la réussite sportive.
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