Cinq clés pour sortir plus fort d'une défaite

Rémi Bourrières

25 octobre 2024

Dans ce nouvel opus de "Conseils aux compétiteurs", Mélanie Maillard, responsable du pôle mental et psychologique à la FFT auprès des territoires, nous parle des différents ressorts de la défaite afin de mieux la comprendre et, ainsi, de mieux la gérer.

La défaite. L'épouvantail ultime du sportif et notamment du joueur de tennis, pour qui elle fait quasiment partie du quotidien. A moins de ramener la coupe à la maison, un privilège qui reste rare, tous les tournois s'achèvent invariablement de la même manière : en s'avouant vaincu…

Certaines de ces défaites font plus mal que d'autres, et certains joueurs et joueuses ont avec elle un rapport plus difficile que d'autres, quel que soit le niveau. Mais que l'on soit ou non un(e) mauvais(e) perdant(e), comme on dit parfois un peu abusivement, la réalité est que personne n'aime perdre, alors qu'il s'agit probablement de la chose la plus naturelle du monde quand on choisit de faire du tennis.

La question n'est donc pas d'arrêter de perdre, puisque c'est impossible, mais de faire en sorte que cela participe à vous construire en tant que joueur plutôt qu'à vous détruire. Avec le concours de Mélanie Maillard, experte en psychologie du sport et responsable du pôle mental et psychologique à la FFT auprès des territoires, nous avons déterminé quelques clés pour mieux appréhender les causes et les conséquences d'une défaite.

1) Comprendre pourquoi une défaite fait si mal

Hormis une blessure, rien ne fait plus mal psychologiquement à un sportif qu'une défaite. Logique et étrange à la fois, quand on sait que celle-ci relève de la pure banalité. "La défaite a quelque chose d’inhérent à l’enfance, elle nous prive de la fête que l’on se faisait de gagner, elle renvoie à des chagrins inconsolables, elle bouleverse et décourage, constate Mélanie Maillard. Pour l'enfant qui pense longtemps avec le principe de plaisir, se mettre à l’épreuve en match le confronte au principe de réalité et l’image qu’il a de lui-même s’en trouve affectée. En gros, dans son esprit, s'il gagne, il est quelqu'un de bien et s'il perd, il est inadéquat. Partant de là, une défaite emmène une chute d'estime de soi, de reconnaissance de sa valeur, un anéantissement passager (« je suis nul, zéro »)."

Le cheminement vers la maturité doit emmener à comprendre le caractère erroné d'une telle pensée : la valeur d'une performance sportive n'a rien à voir avec sa valeur humaine, même s'il peut y avoir quelques passerelles (mais c'est un autre sujet). Lorsque, à l'âge adulte, une défaite inflige une blessure toujours aussi douloureuse à l'ego, il est indispensable, dans un premier temps, d'en comprendre les raisons, pour mieux les corriger.

Cela passe par un apprentissage et une éducation liés au discours environnemental, auquel il faut prêter la plus grande attention.

© Philippe Montigny / FFT

Les défaites font mal, et c'est bien normal...

2) Accepter que la défaite est normale, et même bienfaisante

La compréhension des émotions négatives générées par une défaite sera un premier pas vers leur acceptation, puis leur guérison. Au même titre que le "savoir gagner", le "savoir perdre" est une qualité fondamentale chez un sportif.

Or, comme toute qualité, celle-ci se travaille. "Pour moi, c'est le fruit d’un apprentissage que de savoir perdre un match, acquiesce celle qui collabore avec Ons Jabeur depuis fin 2016. Cela demande d’être capable de comprendre que, déjà, on n'est pas tout puissant, qu'il y a un adversaire qui peut s'avérer meilleur à certains moments, qu'il y a des jours où, pour tout un tas de raisons, on n'est pas en mesure d'exprimer sa pleine compétence. Cela ne veut pas dire pour autant que l'on est mauvais. Dans le duel, notre envie a beau être grande, elle ne peut pas contrôler l’incontrôlable. La défaite nous demandera alors de mobiliser des pensées qui nous permettrons de l’intégrer afin d’apprendre à la surmonter puis de se dépasser pour avoir l’audace de réessayer. Elle pousse à l’humilité."

Cet apprentissage est d'autant plus difficile qu'il est lié, comme on l'a vu, à des émotions infantiles très ancrées. Le tout dans un contexte culturel pas forcément favorable en France, selon Mélanie Maillard : "La culture française a un rapport particulier à l'échec par rapport à la culture anglo-saxonne, qui le voit comme quelque chose de normal, faisant partie du process. Cela se ressent jusque dans le vocabulaire tennistique : on dit "out" en anglais, c'est-à-dire dehors, alors qu'on dit "faute" en France. Tout cela marque le psychisme. Pour s'en détacher, il y a un vrai travail à faire qui doit commencer par le discours des parents et des entraîneurs."

© DP / FFT

Les entraîneurs ont un rôle à jouer pour relativiser les défaites.

3) On peut perdre un match, mais jamais son enseignement

C'est le fameux mantra de Nelson Mandela : "Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends." Même si, émotionnellement, ce n'est pas toujours facile à chaud, la meilleure manière de rebondir après une défaite reste d'en analyser les causes, pour en ressortir plus fort. C'est ce que font à merveille les grands champions, qui ont peut-être une sainte horreur de la défaite mais qui, paradoxalement, ont aussi une faculté hors normes à l'occulter, alors que les enjeux sont décuplés. Du moins les enjeux sportifs et financiers, car les enjeux narcissiques, eux, sont les mêmes - c'est d'ailleurs souvent le problème.

"Les champions peuvent eux aussi être très touchés par la défaite, mais ils ont appris à s'en remettre parce qu'ils n'ont pas le choix, sous peine d'être déstructurés intérieurement et de voir leur jeu se déliter, souligne Mélanie Maillard. Encore une fois, c'est un apprentissage. Or, cet apprentissage est très peu fait chez les amateurs, qui travaillent beaucoup moins sur le plan mental. Aussi, bien souvent, ils perdent deux fois : le match, et l'enseignement du match. C'est dommage. Parce que ce manque de recul et d'analyse participe au manque d'estime."


4) Bien se préparer au match, mais aussi à l'avant et à l'après-match

Un match de tennis, ce n'est pas seulement le match en lui-même : il y a aussi un avant, et un après. Or, le débriefing sera d'autant plus riche en enseignements si le match a été bien préparé en amont. La possibilité de la défaite doit être présente dès la préparation

"Quand on arrive sur un match, il faut essayer de se focaliser sur les choses qui sont sous son contrôle, comme le plan de jeu ou les intentions, et se détacher des choses qui ne le sont pas, notamment le résultat, détaille celle qui est psychologue clinicienne et psychothérapeute de formation. Pendant un match, on va être confronté à tout un tas de difficultés. Il faut être prêt à cela, avoir des outils pour rester lucide, ce qui évitera de se chercher des excuses après. Et c'est seulement si on a bien préparé son match, si on est bien au clair sur ce que l'on veut mettre en place, et les efforts à fournir que l'on pourra en faire ensuite une analyse objective et constructive."

Un travail d'introspection à faire aussi pendant la partie, où chaque point perdu est assimilable à une petite défaite qu'il est nécessaire, dans un laps de temps très court – le temps règlementaire entre deux points -, d’accueillir, d'analyser puis d'évacuer afin d'être plus fort lors du point suivant, au lieu de se laisser envahir progressivement par la frustration.

© Rémi Chautard / FFT

Brief, débrief, seul ou avec son coach, les matchs ont un avant, un pendant et un après !

5) Monter moins haut après une victoire permet de descendre moins bas après une défaite

Rendons ici hommage à Rafael Nadal, qui avait coutume de dire qu'il ne se laissait pas davantage griser par le succès qu'abattre par les échecs, ce qui lui permettait de rester parfaitement stable mentalement. La légende espagnole est l'illustration du fameux poème de Rudyard Kipling inscrit à l'entrée du Centre Court de Wimbledon : "Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite, Et recevoir ces deux imposteurs d’un même front..."

Pas forcément une sinécure, surtout à l'époque des réseaux sociaux où il est facile de tomber dans le piège de la chasse au like et de la glorification superficielle. "Bien sûr, la victoire emmène de la joie, donc plus d'énergie, alors que la défaite peut faire mal, mais il est important de rester mesuré dans les deux cas, confirme Mélanie Maillard. C’est quelque chose qui, là encore, peut s'enseigner dès l'éducation : je recommande aux parents de ne pas couvrir leur enfant de louanges s'il a gagné, et de ne pas l’accabler s'il a perdu. Et en tout cas de rechercher les traces du dépassement de soi."

Parfois raillé pour sa propension à craindre tous ses adversaires, même les moins bien classés, Nadal a fait de cette acceptation de la défaite – ou plutôt de la perspective de la défaite – l'une de ses plus grandes forces. Car accepter la défaite sans la craindre, c'est, quelque part, se détacher de son spectre maléfique. C’est rester humble. Ce qui permet, in fine, de jouer plus libéré, le Graal de tout joueur de tennis.

© Amélie Laurin / FFT

Rafael Nadal a toujours eu un certain recul sur ses victoires. Ses très nombreuses victoires...